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s’opposerait aux exigences de l’Europe. Rêve incertain, presque irréalisable, qui s’ébaucha pour la première fois dans une tête de Japonais enivré, mais qui, depuis, a flotté sur les mers.

— Ah ! me disait un Tagal, si la Chine savait et si le Japon pouvait ! Nous n’aurions plus à supporter votre insolence, et la terre où nous avons grandi nous appartiendrait. Car enfin, tout conquérans que vous soyez, vous ne cherchez point la bataille, et votre intérêt commercial s’accommode aisément des défaites de votre amour-propre. Il a suffi que le Japon vous commandât des navires et vous achetât des canons pour que votre humeur devînt plus souple et votre politique moins altière. Demain, chrétiens, vous accepterez que vos nationaux soient jugés par ses magistrats bouddhistes. Les Japonais ont plus fait, en vingt ans, pour notre race que tous les philosophes qui prêchèrent l’égalité des hommes. Vous les persiflez, mais vous avez peur d’eux. On dit même que certains d’entre vous mettraient un assez haut prix à leur alliance. Ne vous étonnez pas que nous admirions ce peuple actif, industrieux, patriote et guerrier, qui vous oblige aux formes extérieures du respect et qui, le seul de l’Orient, nous venge enfin de nos longues humiliations et de vos injures séculaires.

Et le Japon m’apparut alors comme un séjour où s’élaboraient les grandes revanches de l’Asie.

Quant aux Chinois, bien qu’il se soit formé chez eux un parti adolescent de réformateurs, je ne pense pas que leur énorme masse s’émeuve encore. Les Japonais ont bourdonné à leurs oreilles et piqué leurs flancs. Piqûres et bourdonnemens leur furent peu sensibles. Mais, si les nouvelles modes qu’affichent leurs voisins leur semblent un travestissement indigne des Asiatiques, il se pourrait que les derniers succès de la diplomatie japonaise, dans la révision des traités, les fissent nous mépriser davantage. Comment ne s’estimeraient-ils pas très supérieurs aux gens d’Europe, quand ceux qui furent leurs disciples, et dont ils se croient toujours les maîtres, se piquent d’en savoir aussi long que nous et de nous battre avec nos propres armes ? Les quelques honorables Célestes que j’interrogeai sur le Japon me répondirent à la façon de ces oncles ignares, très suffisans et très riches, qui ne comprennent pas que leurs neveux se farcissent la tête de grec et de latin pour donner du plaisir à leur vieux bonhomme de précepteur. Les neveux, ici, s’affublent de nos jaquettes et de nos pantalons ; ils étudient dans nos livres. Ce sont divertissemens