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VOYAGE AU JAPON

I
PREMIÈRES IMPRESSIONS

Que savais-je du Japon ? Peu de chose ; mais le bruit qui s’est fait autour de ce nom, l’écho des voyageurs, l’éclat d’un bouleversement prodigieux, les rumeurs d’une guerre récente, les étalages de nos bazars ont accrédité chez nous l’image d’un peuple à la fois extravagant et géométrique, révolutionnaire et discipliné, délicieusement fantaisiste et assez soucieux de ses intérêts pour inquiéter parfois les nations européennes. Ce n’est pas le moindre miracle de notre siècle que cet enfant mystérieux et si longtemps farouche, héritier d’une antique politesse, ait déchiré son manteau de nuages et jeté un défi superbe aux théories des races dont nous cuirassons scientifiquement notre vanité. Il a réalisé une aventure extraordinaire dans la chronique du genre humain. Et pour nous, Occidentaux, qui subissons le prestige de l’éloignement, cette merveille s’est accomplie sur un théâtre plus merveilleux encore et sous une lumière de rêve. De petits êtres vêtus d’une soie bruissante et colorée, amoureux des bibelots et des grands sabres, courtois et sanguinaires, jalousement épris des collines en fleurs où leur nation sourit à ses dieux fantastiques, ont adopté nos canons, nos chemins de fer, nos télégraphes, nos codes, nos institutions parlementaires. Ils s’évertuent à nous prouver que la supériorité dont nous nous flattons n’est point inhérente à notre nature. Ils ne tentent rien moins que de