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collectivisme ; il parcourait la France pour semer la bonne parole, condamner les ministères de coalition, défendre les principes d’une république sagement progressive : à tous ces traits on a reconnu M. Waldeck-Rousseau. L’effet de ses discours sur ses auditeurs du Nord était puissant : aussi, à peine avait-il quitté la place, qu’un autre orateur accourait de Paris pour s’efforcer de détruire l’impression qu’il avait faite ; et c’était encore un orateur ardent et vigoureux, un logicien implacable, dans lequel les collectivistes, après les radicaux qu’il avait un peu délaissés, voyaient volontiers leur chef parlementaire : nous n’avons pas besoin de dire qu’il s’agissait de M. Millerand. Si deux hommes paraissaient aux antipodes l’un de l’autre, c’étaient M. Millerand et M. Waldeck-Rousseau. Aussi, malgré toute la reconnaissance qu’il a conservée à ce dernier, M. Motte n’a-t-il pas pu s’empêcher d’exprimer à la Chambre la stupéfaction qu’il a éprouvée, en les voyant se tendre la main l’un à l’autre et entrer dans un même cabinet. De pareils spectacles donnés à un pays sont une terrible leçon de nihilisme politique ! Les esprits, brusquement dérangés dans les habitudes qu’ils ont prises, ou qu’on leur a données, de porter certains jugemens sur les hommes et sur les choses, ne savent plus ce qu’ils doivent en croire et restent longtemps désorientés. On devine tout ce que M. Waldeck-Rousseau a répondu pour expliquer sa conduite. Certes, il n’a rien abandonné de son programme, ni de ses convictions d’autrefois ; il les retrouvera intacts à l’occasion ; le ministère actuel est un ministère de circonstances, et ces circonstances ont été impérieuses ; il y avait une difficile liquidation à faire et on ne pouvait pas y procéder autrement, etc., etc., toutes choses qui ont le défaut d’être à la fois subtiles et fausses. M. Waldeck-Rousseau, dans la situation paradoxale où il s’est placé, a conservé son talent, mais l’idée qu’on s’était faite de son caractère a été entamée et modifiée. M. Méline n’a pas eu de peine à répondre à un discours qui prêtait le flanc à tant d’objections. Il a été vif, pressant, plein de bon sens et de force, ce qui ne l’a pas empêché d’être battu ; mais ce n’est pas le succès immédiat qu’il poursuivait. Il y a toujours beaucoup de gens dans une Chambre qui, lorsqu’un ministère est sûr d’avoir la majorité, volent à son secours, tout en réservant l’avenir : ils veulent vaincre avec lui et vaincre ensuite contre lui, pour ne pas perdre l’habitude de la victoire. L’opposition les retrouvera demain.

Au surplus, admettons pour un moment que M. Waldeck-Rousseau ait fait le ministère actuel parce que c’était le seul possible. Les circonstances ont été les plus fortes ; en outre elles étaient pressantes ; il