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Le procès qui se déroule devant le Sénat, changé en Haute Cour, est loin d’être terminé : on sera très heureux s’il l’est avant la fin de l’année. De tous les témoignages entendus jusqu’ici, rien de saillant ne s’est dégagé. Les choses, on peut le dire, restent en l’état, c’est-à-dire que les impressions de la première (heure, telles que nous les avons ressenties et exprimées, sont confirmées par les faits. Après le réquisitoire de M. le procureur général, on avait été frappé de la faiblesse de l’accusation : cette impression s’est encore accentuée à mesure que les interrogatoires se poursuivaient. Nous persistons à estimer qu’une police bien faite aurait suffi pour préserver la République des périls auxquels on la prétend exposée, et que, si on avait voulu à tout prix quelques sanctions pénales aux imprudences commises, la juridiction la plus ordinaire était en rapport exact avec la gravité des crimes et l’importance des criminels. Il est difficile de s’expliquer par quelle aberration d’esprit les uns et les autres ont été traduits devant la Haute Cour. Et, d’abord, celle-ci est-elle compétente ? Elle l’est incontestablement en matière d’attentat ; mais, s’il y a eu un attentat dans l’affaire, c’est celui qui a été commis par M. Déroulède entre la place de la Nation et la caserne de Reuilly, et le jury de la Seine l’en a déclaré indemne. Il ne restait donc plus que le complot, et, aussi sûrement que la Haute Cour est compétente pour juger un attentat, elle ne l’est pas pour juger un complot. La démonstration en a été faite par Me Devin avec une force de logique et une clarté d’évidence qui ne laissaient rien à désirer. Il a rappelé la différence établie en 1832 entre le complot et l’attentat : à partir de ce moment, il a fallu établir des juridictions différentes pour l’un et pour l’autre cas. L’attentat, qui n’est pas une hypothèse de l’accusation à prouver, mais un fait matériel à constater, est resté justiciable de la Haute Cour, assemblée politique ; mais le complot, qui est moins aisément saisissable, plus sujet à contestation et à appréciation, qui met en cause non seulement les actes de l’accusé, mais, dans une certaine mesure, ses intentions, le complot a été déféré à une juridiction non politique, à la juridiction de droit commun. Si, dans la Constitution de 1848 et dans celle de 1852, le complot, comme l’attentat, a été déféré à la Haute Cour, c’est que celle-ci cessait d’être un corps politique pour devenir un jury national. En 1875, lorsqu’on a restitué à une assemblée politique une juridiction exceptionnelle, on l’a limitée à l’attentat. C’est ce que le respectable M. Wallon, qui a pris une si grande part à la confection des lois constitutionnelles, a déclaré formellement, mais inutilement. Le Sénat, — pardon : la Haute Cour — a passé outre ; elle