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REVUE MUSICALE



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Opéra : La Prise de Troie, d’Hector Berlioz. — Nouveau-Théâtre : Tristan et Iseult, de Richard Wagner.

Berlioz écrivait à son ami Humbert Ferrand, en 1863 : « Nous voilà enfin, Carvalho et moi, attelés à cette énorme machine des Troyens... J’ai dû consentir à laisser représenter les trois derniers actes seulement, qui seront divisés en cinq et précédés d’un prologue que je viens de faire. Plus tard, nous verrons si l’Opéra ne s’avisera pas de donner la Prise de Troie. » Au bout de trente-six ans, l’Opéra s’en est avisé, mais Berlioz ne l’a pas vu. Des trois actes des Troyens à Carthage on en avait fait cinq ; on en a fait quatre avec les deux actes de la Prise de Troie. Neuf actes au lieu de cinq, deux soirées au lieu d’une. C’est ce qui s’appelle abréger un ouvrage où il y a des longueurs.

Abréviation ou extension, la mesure en soi n’a rien de fâcheux, encore moins de sacrilège. Ce partage ne rompt pas, car elle n’exista jamais, l’unité de « l’énorme machine. » Les Troyens forment très visiblement deux opéras ne se passant point aux mêmes lieux, n’ayant ni le même sujet, ni la même héroïne, et dont le second seul est un drame, j’entends une rencontre, un conflit de sentimens et de passions. Le premier peut à peine s’appeler un opéra : plutôt une cantate avec chœurs. Il n’y a dans la Prise de Troie qu’un personnage, un caractère : celui de Cassandre, admirable avec quelque monotonie. L’amoureux et mélodieux Chorèbe justifie assez faiblement l’insano accensus amore de Virgile. Énée est insignifiant, pour ne pas dire davantage, et dans une scène, d’ailleurs sublime, Andromaque ne paraît qu’un instant. L’opéra, tel qu’on vient de le représenter, se divise en quatre tableaux. Devant les remparts que n’a pu forcer l’ennemi, les Troyens célèbrent leur délivrance. Cassandre, qui sait le mensonge de leur joie, s’afflige