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Norvégiens et Danois, sans doute, il leur a paru que la littérature « européenne, » allemande ou française, italienne ou anglaise, n’exprimait que très imparfaitement ce qu’ils sentaient s’agiter en eux de particulièrement « Scandinave. » Les Ibsen et les Biörnson avaient quelque chose à dire qu’ils estimaient que les George Sand ou les Dickens n’avaient point dit. Ils l’ont voulu dire, ils l’ont dit ; leurs compatriotes se sont reconnus dans la manière dont ils le disaient. Avertis de leurs qualités nationales, ils se sont efforcés de les dégager de tout alliage exotique, et dans la mesure où ils y ont réussi, c’est dans cette mesure qu’il existe une littérature, et, « intellectuellement, » une mentalité ou une nationalité Scandinave. On en peut dire autant, je crois, de la littérature ou de la nationalité russe ; et, sans exagération, on a le droit d’ajouter, qu’en ce sens, les Pierre le Grand, les Catherine n’ont pas fait plus pour la Russie que les Tolstoï et les Dostoïevsky.

Mais ces motifs sont-ils suffisans pour nous faire douter de l’ « européanisation » de la culture, et, si puissans qu’ils soient, d’autres motifs ne les contre-balancent-ils point, qui seraient capables de l’emporter un jour ? Il est vrai, dira-t-on, que les littératures nationales ont essayé dans ce siècle de se concentrer sur elles-mêmes et de diriger leur développement dans le sens de leurs traditions, mais cela même n’est-il pas une preuve de leur pénétration réciproque et de la crainte qu’elles ont ressentie de perdre ainsi les plus originales de leurs qualités natives ? Elles ont cherché précisément dans l’exagération de leur nationalisme un moyen de résister et comme de se raidir contre la tendance qui les entraînait au cosmopolitisme. Mais un drame d’Ibsen diffère-t-il autant qu’on le dit d’un roman de Tolstoï, Un ennemi du peuple de la Sonate à Kreutzer ? et les romans de Dickens n’ont-ils pas trouvé presque autant de lecteurs à Paris que ceux de M. Paul Bourget ou de Pierre Loti à New-York ? D’un autre côté, la meilleure histoire que l’on ait de la Renaissance italienne est celle d’un Anglais, John Addington Symonds ; et nous avons en français plus d’un livre sur Voltaire, sur Rousseau, sur Diderot, mais peut-être pas un qui vaille ceux de Strauss, de Rosenkranz, de M. John Morley. Le poète anglais Dante Gabriel Rossetti, et son frère, qui est un critique distingué, en anglais, sont les fils d’un Italien. En revanche, n’est-ce pas la France, par la voix de M. de Vogué, qui a presque