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aux mobiles des actes. Ajoutons que le premier s’intéresse plutôt aux cas généraux ou typiques, et le second aux cas singuliers ou rares. Mais, que l’on étudie les actions des hommes dans leurs effets, comme le naturaliste, ou dans leurs causes, comme le psychologue, il faut toujours bien que l’on se rencontre, et ce terrain où l’on se rencontre est proprement le domaine du roman psychologique.

On a fait cependant un pas encore, depuis quelques années. « Tout fait, écrivait Emerson, a, par un de ses côtés, rapport à la sensation, et, par l’autre, à la morale. » C’est ce que les romanciers ont compris, et de là, l’invasion des questions morales dans le roman. Il est curieux, à ce propos, d’observer la part que les femmes ont prise à cette transformation. Mme de Staël avait commencé, si du moins on ne saurait nier que Delphine et Corinne soient ce que nous appellerions aujourd’hui des romans « féministes. » George Sand l’a suivie, en qui la critique russe est unanime à reconnaître l’inspiratrice de la « religion de la souffrance humaine : » je parle ici de l’élève de Lamennais, de Pierre Leroux, de Michel de Bourges. Charlotte Brontë, George Eliot, Elisabeth Gaskell, sont venues à leur tour, avec Jane Eyre, Mary Barton, Daniel Deronda ; et je ne dis rien de Mrs Beecher Stowe ou de Miss Cummins. Aujourd’hui, c’est Mrs Humphry Ward, qui, dans son Robert Elsmere, dans son David Grieve, dans sa Marcella, ne craint pas d’aborder les plus graves problèmes de l’heure présente. Citons à côté d’elle Miss Olive Schreiner, et en Italie, Mme Mathilde Serao, ou encore en Espagne, Mme Emilia Pardo Bazan. En vérité, ne pourrait-on pas dire qu’avec leur superbe et inconscient dédain des théories littéraires, ou plus généralement de tout ce que les mandarins d’Occident enveloppent sous le nom de « secrets de l’art, » mais surtout grâce à la pitié dont leur sexe s’émeut au spectacle des misères humaines, ce sont les femmes — femmes d’Angleterre, femmes de France, femmes d’Italie, femmes aussi du Nord Scandinave, — qui ont révélé au roman naturaliste sa portée sociale ? L’examen un peu approfondi des questions sociales semble encore incompatible avec les exigences de l’art, mais nous ne doutons pas qu’on ne puisse finir un jour par les concilier, puisque déjà quelques-unes d’entre elles y ont presque réussi. Et soyons sûrs que, cette tendance étant d’accord avec les tendances du siècle qui finit, et qui honorent singulièrement sa fin, on ne peut ni donner aux romanciers