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Il y a des chances pour que le roman naturaliste soit un jour, dans l’histoire de la civilisation moderne, quelque chose d’aussi considérable que la peinture hollandaise, avec laquelle, chemin faisant, on aura vu qu’il offrait plus d’une ressemblance. D’autres auront été nos Florentins ou nos Vénitiens ; les Balzac et les Flaubert, les Dickens et les Eliot, les Tolstoï et les Dostoïevsky, seront nos Frans Hals, nos Mieris ou nos Terburg, et même nos Rembrandt.

Mais l’imitation de la nature, qui est sans doute le commencement de l’art, n’en saurait être le terme, ni peut-être le principal objet, puisqu’on sait bien qu’il y a des arts qui ne sont point d’imitation. C’est pourquoi le roman naturaliste, après avoir un moment triomphé de toutes les espèces de romans qui lui avaient fait concurrence, n’a pu cependant les étouffer, ni les empêcher par conséquent de renaître. Au surplus, en quelque genre qu’il se soit une fois produit des œuvres maîtresses, elles font partie de l’histoire de l’art, sinon de la nature même ; elles vivent comme « modèles ; » et il se trouve toujours quelqu’un pour essayer de les reproduire. Ni le roman historique, ni surtout le roman « personnel » ne sont donc morts du triomphe du naturalisme, et, l’oserons-nous dire, en parlant d’un vivant ? le Mariage de Loti ou le Roman d’un Spahi ne sont pas au-dessous d’Atala. Dans ce genre du roman personnel, on rapprochera des romans de Loti ceux de M. Gabriel d’Annunzio : l’Enfant de Volupté, l’Innocent, le Triomphe de la Mort. Et la fortune du roman naturaliste n’a pas non plus entièrement prévalu contre celle du roman psychologique, tel que l’ont conçu et traité George Sand elle-même, Octave Feuillet, Victor Cherbuliez, chez nous, George Eliot aussi, Meredith en Angleterre ; et, plus près de nous, sous une influence où Balzac et Stendhal paraissent avoir également concouru, M. Paul Bourget, l’auteur de Mensonges, du Disciple, et d’Un Cœur de Femme. On conçoit d’ailleurs aisément qu’il ne soit difficile ni au roman naturaliste d’être en même temps psychologique, et c’est le cas de Middlemarch ou de Daniel Deronda, ni au roman psychologique d’être en même temps naturaliste, et c’est le cas au moins des premiers romans de M. Paul Bourget. L’observation naturaliste va du dehors au dedans, l’observation psychologique du dedans au dehors. L’une s’attache ou s’arrête à ce qui se voit et l’autre essaie de saisir et de préciser ce qui ne se voit pas. Le naturaliste s’intéresse aux actes, le psychologue