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vérité s’entremêle de tant de fiction, et même de mensonge, l’avaient orienté, dès la fin du XVIIIe siècle, dans la direction du romantisme prochain ; et, chronologiquement, il est à noter qu’avant les poètes, ce sont les romanciers qui ont reconquis le droit de nous entretenir ouvertement d’eux-mêmes. Qu’est-ce, en effet, que l’Atala, que le René de Chateaubriand ? la Delphine, la Corinne de Mme de Staël ? l’Oberman de Senancour ? le Jacopo Ortis d’Ugo Foscolo ? l’Adolphe de Benjamin Constant ? Ce sont des romans « personnels » dont l’auteur est lui-même le héros, sous un déguisement plus ou moins transparent ; et ce sont aussi des romans lyriques. Les moyens lyriques y abondent : l’exclamation, la digression byronienne, l’apostrophe, la prosopopée, la « méditation, » les cris de révolte ou de désespoir, sans parler des couplets entiers où bientôt les poètes n’auront plus que des rimes à mettre. Si la principale différence est qu’en s’y confessant on y confesse aussi les autres, c’est qu’il n’y a point de roman à un seul personnage : les nécessités du genre en exigent au moins deux. Mais, nous ne saurions nous y méprendre, Oberman, ou René ne sont que la manifestation de la sensibilité personnelle de Senancour ou de Chateaubriand. Leur observation, tout intérieure, est étroitement circonscrite à eux. Et ce qu’ils exposent ou ce qu’ils étalent uniquement d’eux, ce n’est pas, naturellement, ce qui fait qu’ils ressemblent à nous, « la forme de l’humaine condition, » mais, tout au contraire, c’est ce qu’ils croient avoir découvert en eux d’original et d’unique. « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. » C’est la première phrase des Confessions de Rousseau. Elle pourrait servir d’épigraphe à tous les romans dont nous venons de rappeler les titres. C’est également celle que l’on pourrait inscrire au frontispice d’Indiana, de Volupté, de la Confession d’un Enfant du Siècle.

Mais, déjà, sous l’influence de Walter Scott et de Manzoni, dont les Fiancés demeurent sans doute un des chefs-d’œuvre du genre, le romantisme épique ou narratif cherchait une expression plus objective de lui-même dans la « résurrection du passé, » et le succès du roman historique avait commencé de contrarier le développement du roman personnel. Rien de plus naturel en Allemagne et en Italie, où l’on sentait bien qu’en dépit du cosmopolitisme de Gœthe, il n’y avait de véritable liberté pour l’individu