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prendre garde à ne point les confondre ; et surtout il ne faut pas croire, par un effet contraire de la même erreur de principe, que l’un dispense de l’autre, ou, en d’autres termes encore, qu’une œuvre soit assez morale dès qu’elle est belle, ou assez belle dès qu’elle est morale.

Nous sera-t-il permis seulement d’ajouter que, de ces deux erreurs, si l’une est moins grave, et moins dangereuse que l’autre, c’est assurément la seconde ? On sait qu’après de longues hésitations, — qui sont l’honneur d’une critique, à son origine, résolument ou systématiquement naturaliste, — c’est à cette conclusion que Taine avait fini par aboutir. Le degré de bienfaisance du caractère que les œuvres expriment était devenu pour lui le juge, ou, comme on dit, le criterium de leur valeur d’art. Et si nous le rappelons ici, ce n’est pas, on vient de le voir, que nous partagions entièrement son opinion sur ce point, mais c’est que son exemple n’est pas la moindre « illustration » de la réalité du mouvement que nous venons d’essayer de décrire. Nous y reviendrons tout à l’heure, et quand, auparavant, nous aurons essayé d’indiquer, d’une manière incomplète et sommaire, quelle transformation des « Genres » ou des « Espèces » littéraires a été la conséquence de ce même mouvement.


II.
L’EVOLUTION DES GENRES

Sera-t-on très surpris si je dis qu’entre toutes ces transformations, l’une des plus significatives et des plus regrettables est celle que le genre dramatique a subie ? Aucun genre, à n’en croire du moins que les apparences, n’a été plus fécond en ce siècle, ne l’est encore de nos jours, et nous, Français, en particulier, nous n’avons point de titre littéraire dont nous fassions plus de bruit que de la « continuité de notre production dramatique. » Et il est bien vrai que ce sont nos vaudevilles et ce sont nos mélodrames qui amusent tous les soirs le public de Londres et de Saint-Pétersbourg. Les étrangers, pour se former au style de la conversation, apprennent généralement le français dans le répertoire des deux Eugène, Scribe et Labiche, et, je dois l’avouer, rien ne m’a davantage étonné que de voir la singulière estime où les tiennent les Américains. Il y a aussi des Parisiens qui ne connaissent de la