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la littérature n’était qu’un ornement ou un agrément, une fonction de la vie sociale, ce sont eux, les Anglais, qui, par un Wordsworth, par un Byron, par un Shelley, par un Keats, ont permis à l’écrivain de n’en faire qu’une manifestation de sa sensibilité personnelle, sans égard aux sentimens des autres, et au contraire, pour exprimer les raisons bonnes ou mauvaises, mais siennes, qu’il avait de se distinguer et de se séparer des autres. Où sont, et quelles sont, en comparaison de tant de nouveautés, celles que nous devons à l’influence allemande ?

Que si maintenant, de tous ces traits, nous nous demandons quel est le plus caractéristique ou le plus « anglais, » nous n’en saurions douter, c’est le dernier qu’on vient de dire, et, par une remarquable coïncidence, il n’en est pas qui soit plus caractéristique de tout ce qui s’enveloppe sous le nom de romantisme. Je n’en vois pas non plus qui soit plus contraire à l’idéal classique. On a donné beaucoup de définitions du romantisme, et on l’a lui-même caractérisé tour à tour par les moins essentiels de ses traits. Mais, quels qu’ils soient et de quelque nom qu’on les nomme, ils se ramènent tous à deux, qui sont : extérieurement, son opposition à l’idéal classique ; et intérieurement, l’émancipation du Moi de l’écrivain. Tandis que l’idéal classique ne se concevait et ne se formulait qu’en fonction du public, l’idéal romantique n’a de raison d’être ou d’existence même qu’en fonction ou plutôt, et à vrai dire, dans la manifestation de la personnalité du poète ou de l’écrivain. Aucun souci de plaire et encore moins d’instruire ; il ne s’agit que d’être soi. « Je ne suis rien, a dit quelque part Wordsworth, si je ne suis pas un maître, un professeur, un instituteur : a teacher ; » mais il eût dit encore avec plus de vérité : « Si je ne suis pas moi, je ne suis rien. » Ce qui importe, ce n’est ni la vérité de ce que dit le poète, ni sa beauté, ni son utilité, mais son originalité ; et l’originalité n’en est faite que de ce qu’il y met de lui-même ; et si ce qu’il y met de lui ne ressemble à personne, c’est alors vraiment qu’il est poète. « Le monde, a dit un moraliste, regarde toujours vis-à-vis ; moy, je replie ma vue au dedans, je la plante, je l’amuse là. Chacun regarde devant soy ; moy, je regarde dedans moy, je n’ay affaire qu’à moy ; je me considère sans cesse, je me contrerolle, je me goûte. Les autres vont toujours ailleurs, s’ils y pensent bien ; ils vont toujours avant. Moy, je me roule en moi-même. » Ces paroles de Montaigne pourraient être aussi bien de Byron ou de