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Ginguené ni aucun Daunou, n’avait le grand style de Chateaubriand, ou cette abondance d’idées perpétuellement jaillissantes, qui est le trait caractéristique du talent de Mme de Staël. Ils n’avaient pas non plus l’opinion, ni même le pouvoir avec eux. Si Napoléon n’aimait ni Mme de Staël ni Chateaubriand, il avait encore moins de sympathie pour les idéologues, dont on serait tenté de croire, en vérité, qu’il n’avait fait des « sénateurs » qu’afin de les mieux surveiller ou de les annuler ; et il y avait réussi. C’est pourquoi, de la littérature proprement dite, la réaction n’avait pas tardé à s’étendre aux idées qui commandent toujours la littérature elle-même, et ce fut bientôt la « pensée » tout entière du XVIIIe siècle qui se trouva remise en question. On ne saurait en effet trop insister sur ce point qu’en Angleterre et en Allemagne, comme en France et comme en Italie, la réaction a été philosophique autant que littéraire, et qu’ainsi le mouvement romantique, dans l’Europe entière, a été connexe et solidaire d’un retour à l’idée religieuse. Les principaux représentans en sont Wordsworth et Coleridge en Angleterre, — ce Coleridge dont Carlyle a si bien dit qu’il passait auprès de toute une jeunesse « pour connaître le sublime secret de croire par la raison ce que l’entendement avait été obligé de rejeter comme incroyable ; » — Frédéric Schlegel, Görres, Novalis, Clément Brentano en Allemagne ; et en France, Bonald, Joseph de Maistre, Lamennais, Lamartine et Hugo : nous parlons ici du premier Victor Hugo, celui qui se confessait à l’abbé de Lamennais, et qui écrivait dans la préface de ses Odes et Ballades que l’histoire de l’humanité n’offre d’intérêt ou de sens que « vue du haut des idées monarchiques et religieuses. »

Cependant la réaction n’en pouvait demeurer là. S’il y a, en effet, plus d’une opposition, et même plus d’une contradiction entre l’esprit du XVIIIe siècle et celui du grand siècle qui l’avait précédé, il y a aussi quelques rapports, et rien, certes, n’est plus différent de la pensée de Pascal et de Malebranche que celle de Voltaire ! mais ce même Voltaire n’a pas conçu l’épopée ni la tragédie d’une façon qui diffère beaucoup de celle de Racine et de Boileau. C’est seulement son vers qui n’a ni la plénitude ou la fermeté de celui de Boileau, ni la grâce, et la force, et le charme de celui de Racine. La Henriade, sauf en un point, est tout à fait conforme aux prescriptions de l’Art poétique ; et, si ce n’était que Racine en est absent, Zaïre pourrait passer pour une