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encore, dans les revenus de la maison, six francs que l’Assistance publique donne chaque mois pour l’enfant trouvé, et trois oies, qu’on engraisse d’orties et d’épluchures cuites, pour les revendre à la saison !

Tout autre, d’ailleurs, est le ménage installé dans la grotte à côté. Là, les habitans sont propriétaires de leur creux de rocher, et leur logis, leur jardinet, toute leur propriété, comme capital, vaut dans les quatre cent cinquante francs. Ils sont deux, l’homme et la femme, et tout chez eux annonce l’ordre, l’économie, et même les économies. En bas, une petite cuisine, une table, trois chaises, un buffet et une horloge. A côté, et communiquant, un cellier à compartimens, où chaque objet a sa place. Là, le bois ; là, le tas de pommes de terre ; là, le petit tonneau de piquette, et là, derrière une planche, entre la barrique et le bois, quelque chose qui remue, qui broute et qui bêle : deux agneaux qu’on élève, et qu’on revendra gras à la foire. Montez, maintenant, par le petit escalier raide, et vous voilà dans une chambre aussi nette, aussi propre, aussi bien rangée que le bas : une table, deux bancs autour, une armoire et trois lits sous leurs courtines. Ces braves gens ont un fils soldat, et le père de l’homme, en outre, passe tous les ans trois mois chez ses enfans. De là, ce troisième lit, qui est tantôt pour le père, tantôt pour le soldat. Et les ressources du ménage ? Le mari est tailleur de pierre, la femme fait des lessives, et ils travaillent « au tiers » un bien voisin. Eux-mêmes, enfin, possèdent un petit terrain d’où ils tirent un demi-sac de blé, vendent leurs deux moutons, profitent de la laine, et doivent encore ajouter, à tous ces petits profits, un peu de pêche et de braconnage, car on remarque, dans un coin, un épervier accroché à un clou, et un fusil pend à une poutre, à côté de la planche à pain. Avec tout cela, ils joignent les deux bouts, et trouvent même moyen, une ou deux fois dans l’année, d’envoyer un mandat-poste au troupier. Ils servent même encore au père, tous les mois, une rente de deux francs cinquante.

L’ordre et la propreté, toutefois, ne sont pas la règle de ce quartier, et, ce qu’on y voit, c’est la misère. On m’y a montré une petite vieille bizarre. Elle était en train de filer, accroupie devant sa caverne, avec des débris de laine dans sa tignasse, et vit là d’un enfant et d’un vieillard. L’enfant, placé chez elle par l’Assistance publique, lui rapporte, chaque mois, les six francs réglementaires, et le vieillard, légendaire dans la région, est un