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auraient eu une quinzaine de siècles de moins que leurs colonnes, s’y étaient trouvées précédées par des coupoles, et ces coupoles avaient déjà succédé elles-mêmes à d’autres voûtes. Quant aux colonnes, plus anciennes encore que l’abbaye, elles auraient appartenu, avant elle, à un monument du Bas-Empire. De quelles ruines problématiques ces colonnes provenaient-elles donc ? Les archéologues ne nous le disent plus, mais nous les signalent encore, dans ce dernier millier d’années, comme ayant été trois ou quatre fois renversées et relevées, par de continuelles destructions ou reconstructions. Et toute l’église n’était plus elle-même ainsi qu’une relique. Que faisait là ce pendentif solitaire et inutile ? Que signifiaient ces cavités sans destination ? Sur quoi ouvraient ces arcades murées ? Où conduisaient ces portes, qui ne conduisaient plus à rien ? Dieu le savait ! C’était l’énigme du vieux livre incendié dont les phrases ne peuvent plus avoir de sens, si pieusement qu’on en ait recollé les mots ; et le seul fil conducteur auquel on se rattachât, dans tous ces mystères et toutes ces solutions de continuité, était le culte ininterrompu du petit saint Sicaire, qui survit toujours, et donne encore son accent à l’église actuelle. Un bas-relief en bois, à droite du chœur, représente l’extermination des Innocens ; un autre bas-relief, à gauche, nous montre Charlemagne apportant à l’abbaye les restes du petit martyr, et la légende du petit saint reparaît encore, à l’entrée de l’église, dans un diptyque de pierre, de l’époque primitive : Hérode, d’un côté, préside au massacre sur son trône, avec un diablotin près de l’oreille, et des anges, de l’autre côté, emportent vers le trône de Dieu les Innocens martyrisés.

Au sortir de l’église, le touriste n’a plus que la grotte à visiter, et c’est bien là, d’ailleurs, ce qu’un curieux, dans le pays, peut voir de plus violemment singulier. Sur la paroi d’une grande caverne, où subsistent encore les traces d’anciens escaliers intérieurs montant à d’autres grottes inconnues, un colossal bas-relief, sculpté à même le roc, se dresse devant vous comme une apparition. Une haute et vague figure le domine, entre des formes agenouillées. Au-dessous, d’autres figures semblent souffler dans des trompettes, autour d’un spectre central qui paraît brandir une massue. Puis, au-dessous encore, une tête couronnée de plumes, et rappelant une tête de sauvage, surmonte deux rangées d’autres têtes, lugubrement alignées… Quelle est cette scène, et