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C’est là l’ancien côté des moines, le côté du « seigneur, » mais retournez vers l’église, repassez le pont, rentrez dans l’île, et vous n’y retrouverez plus que le chef-lieu de canton vulgaire, avec ses ruelles dormantes, sa petite vie, ses petits commerces : des échoppes de bourreliers et de sabotiers, le barbier qui s’annonce par le plat à barbe de sa porte, le charcutier par la tranche de lard de la sienne, et l’aubergiste dont la branche de genêt a l’air de bénir la rue ; voilà le bureau de poste, l’épicier, le bureau de tabac, la boutique du pharmacien, le magasin, et peut-être un second pharmacien, peut-être aussi un second magasin, un pour chaque parti politique. Cette maison bourgeoise, avec son marteau de porte et sa plaque de cuivre, c’est la maison du médecin ; cette autre, avec son balcon de fer et ses panonceaux, c’est la maison du notaire. Et, dans tout cela, de vagues résidus d’architectures, des fragmens d’ogive, des parties de rosaces, restés ou rapportés dans les murailles comme les empreintes d’animaux et de coquillages dans les montagnes. Comment ce morceau de façade à arcades gothiques existe-t-il encore dans cette ruelle dont on touche les deux murs quand on y passe ? On ne sait pas ! Comment, au-dessus de ce papetier qui vend des photographies de la ville et tient le dépôt du Petit Journal, aperçoit-on cette cheminée ouvrée et sculptée comme un bijou ? A la suite de quel bouleversement local s’est-elle trouvée transportée là, au-dessus de ce coin de masures sales ?

Quelque chose de noble et de « seigneurial » d’un côté, de « vilain » de l’autre, et d’effacé, d’aboli, de spectral et de mort dans l’ensemble, tel est donc d’abord Brantôme, dans le cadre de sa campagne tout particulièrement pittoresque, et qui vous ramène, à certains endroits, jusqu’aux temps préhistoriques. Regardez vers les champs du côté du nord, et vous y apercevrez le profil d’un dolmen. Allez faire un tour de promenade dans la direction opposée, dépassez le pavillon du pont coudé, et vous aurez devant vous, à l’entrée de la ville, comme une vision de l’homme des cavernes. Tout un faubourg en guenilles, à cet endroit, vit et végète dans le rocher. Toute une population pauvre habite là, tout le long de la route, des grottes bizarrement murées, dans des excavations maçonnées, aux lucarnes desquelles sèchent des loques accrochées, à côté de pois de fleurs boiteux et de petits tuyaux qui fument.