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UN BOURG DE FRANCE


I

L’ignorance où les Français sont de la France est une des choses les mieux établies du monde. Nous sommes, pour tout ce qui concerne la vie intime et locale de notre pays, comme ces Parisiens qui ne connaissent de Paris que le boulevard et les théâtres, les quartiers où l’on habite, et les restaurans où l’on va. Même de Notre-Dame et du Louvre, ils n’ont, au fond, que la plus vague idée, et n’en sauraient peut-être même rien sans les étrangers ou les provinciaux qui leur en parlent. Nous ne connaissons ainsi, de la France, qu’une certaine France superficielle et convenue, très vague et très limitée, très incomplète et très fausse, et nous ignorons tout, ou presque tout, de la France réelle et vraie, de ses particularités populaires, professionnelles, historiques, pittoresques, économiques. Que de surprises, et quelquefois que de stupéfactions, dans les déplacemens les plus simples ! C’est tantôt le site ou le paysage qui mériteraient « d’être dans les Guides, » et que personne, pourtant, n’a jamais signalés, et tantôt les souvenirs, les légendes, l’histoire ou la vie même du pays, dont on s’étonne, comme pour le paysage, non seulement qu’on ne sache rien, mais qu’il ne se fasse rien pour qu’on en sache quelque chose. Et, le plus singulier, dans cette méconnaissance, chez nous, de tout ce qui est nous-mêmes, c’est que toutes ces choses françaises, presque toujours, ont, sur le lieu même où elles se trouvent, un amateur passionné, un dévot de leur beauté ou de leur antiquité, qui s’y voue et qui s’y consacre. C’est quelquefois le curé, d’autres fois le notaire, ou quelque petit rentier, ou quelque petit fonctionnaire. Ils savent, eux, pieusement, toute l’historiographie, toutes les ressources, tous les charmes, toutes les