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chez les Français à Chandernagor. Mais les évêques étaient puissans dans la métropole, et peu à peu, la Compagnie eut la main forcée. Une vaste propagande fut organisée et, dès lors, ne s’arrêta plus. J’en résumerai les résultats en deux mots : une défaite théologique signalée, une immense victoire morale, suivie d’une puissante réaction. Après un siècle d’efforts, toutes les communautés chrétiennes réunies comptent deux millions d’adhérens, sur une population de 287 millions d’âmes. La progression de ce nombre, d’un recensement à l’autre, paraît être en rapport avec l’accroissement normal de la population. Les conversions nouvelles ont lieu parmi les anciennes tribus indigènes, restées à demi sauvages, notamment parmi les Dravidiens, et on ajoute que ces conversions se produisent particulièrement en temps de famine : ce fait n’a pas besoin de commentaire pour ceux qui savent que les pasteurs distribuent le pain du corps avec le pain de l’âme. Mais les ressources dont est si abondamment pourvu le prédicateur anglican nuisent souvent à son succès. Il a femme, voitures, serviteurs ; il fait l’aumône au lieu de la demander. Cela ne s’accorde point avec l’idée que se fait le peuple de l’homme qui apporte la parole d’en haut. Comment leur persuadera-t-il de renoncer à tout, alors qu’il n’a renoncé à rien ?

Et pourtant l’influence du christianisme a été et est aujourd’hui bien plus considérable que ne pourrait le faire croire le misérable chiffre des conversions. Rien ne fera mieux apprécier, dans ses vicissitudes, cette influence indirecte que l’histoire abrégée d’une secte fameuse, la Brahma Samaj, qui, à divers momens de ce siècle, a rassemblé, dans un même effort et dans une pensée commune, les plus nobles esprits de l’Inde.

Elle a eu pour fondateur ce Rammohun Roy que j’ai le droit d’appeler grand, puisque, suivant la parole de Max Millier, « il réunissait les trois élémens de la grandeur : le désintéressement, l’honnêteté et le courage. » En effet, il n’a jamais songé à lui-même ; il n’a servi que les causes justes ; il n’a jamais reculé devant le labeur, le péril ou l’insulte. Je ne puis résister au plaisir de rappeler cette belle vie[1]. Fils d’un zemindar, son père l’exila à cause de la liberté de ses opinions. Rentré dans son pays après quatre ans, il occupa de hautes fonctions administratives au

  1. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1880, l’étude de M. le comte Goblet d’Alviella : Le Cinquantième anniversaire du Brahma Somaj ; une tentative de religion naturelle dans l’Inde.