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de l’histoire religieuse contemporains de la domination musulmane. Le roman peint des mœurs plus nouvelles, mais avec un désir si évident de suivre des modèles anglais, qu’il semble, par momens, traduire au lieu d’inventer. D’ailleurs, une question préalable se pose : est-il possible d’écrire des drames ou des romans dans un pays où l’amour est, sinon supprimé tout à fait, du moins condamné au silence, où la femme a perdu sa place, comme je le montrerai bientôt, non seulement dans la vie sociale, mais dans la vie intime ?

Fort peu de gens sont assez riches pour acheter des livres, Encore existe-t-il un singulier malentendu entre le public, si rare, et les auteurs, si nombreux. En effet ceux-ci tiennent à écrire dans les dialectes indigènes, tandis que le public cultivé, par mode, par vanité, par curiosité insatiable des choses d’Occident, réclame des livres anglais. De là, manque d’harmonie, manque d’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché littéraire. A part quelques journalistes et les auteurs de livres scolaires indispensables à l’enseignement primaire, nul ne vit de sa plume, nul n’est nourri par sa pensée. On m’a assuré que Chatterji n’avait jamais gagné plus de trois mille francs par an avec ses livres. Cet exemple est peu encourageant. Le moment est passé où, dans l’Inde, les écrivains vivaient, en courtisans, des munificences princières ; l’heure n’est pas encore venue où le public fera une liste civile à la royauté littéraire.

M. Bose donne une dernière raison de l’infériorité des Hindous dans ces nouveaux domaines où les a appelés l’imitation des littératures d’Europe. Cette raison n’étant pas de mon ressort, je la soumets aux physiologistes compétens. L’auteur indien que je suis pas à pas ne croit point que le végétarianisme soit compatible avec les grands efforts intellectuels. La dépense d’énergie provoquée par le travail cérébral exige impérieusement une réparation que ne fournit pas aux libres la misérable nourriture de l’Indien. Point de beefsteak, point de chefs-d’œuvre. La pensée hindoue est une anémique : il faut la mettre à un régime fortifiant. Mais le climat permet-il ce changement de régime ?


II

Donc, voici le bachelier pliant sous le poids de cet immense fardeau de connaissances dont il s’est chargé et dont il ne sait