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comment des colonies mêlées d’élémens si disparates, la plupart nègres ou indiens, et sous un climat si défavorable, ne manifesteraient-elles pas le même pseudo-individualisme, trop voisin de l’anarchie ?

Les républiques sud-américaines n’en ont pas moins leurs apologistes. Selon eux, si les États-Unis n’ont pas de révolutions, c’est parce que, depuis le commencement de leur vie politique, ils ont été entraînés dans une véritable tourmente d’affaires matérielles. Les Américains du Sud excusent leur régime de bouleversemens en prétendant qu’ils en sont où l’Europe elle-même en était jadis en sa période de révolutions et de guerres ; ils déclarent que, si les luttes européennes n’ont pas pris plus souvent la forme des guerres civiles et sociales, c’est parce qu’on était maintenu dans l’union par la crainte de l’étranger et sans cesse occupé aux querelles internationales. Aujourd’hui encore, les Européens ne sont-ils pas tous sous les armes, dépensant en vue des exterminations futures le meilleur de leurs ressources ? Ne versent-ils pas, en somme, plus de sang, et ne prodiguent-ils pas plus d’argent en ces luîtes insensées que les républiques américaines dans leurs révolutions intérieures, phénomènes de surface, auxquels la généralité du pays reste dans le fond indifférente ? Il est certain qu’il y a du vrai dans ces reproches qu’on nous adresse ; ce qui n’empêche pas la vérité des reproches adressés par l’Europe aux Américains du Sud et même du Nord. Si donc on parcourt les divers pays d’Europe et d’Amérique, on trouve partout un inextricable mélange de bien et de mal, où la latinité n’a rien à voir, et où il est bien difficile de discerner la décadence sociale de l’état d’enfance ou de simple croissance.


VIII

En résumé, il n’y a rien de vraiment scientifique dans les théories qui soutiennent l’infériorité native ou la dégénérescence des soi-disant Néo-Latins. Ces théories ne sont qu’une des innombrables transformations du culte secret de l’humanité pour la force et le succès. Les coryphées de la gloire anglo-saxonne, au fond, cèdent à un sentiment d’utilitarisme plus ou moins déguisé, à l’admiration pour l’industrialisme, » pour le « commercialisme » et, à parler net, pour l’argent. Sous le nom de « volonté, » semblablement, les flatteurs de l’Angleterre, de