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produits ; déjà l’Australie pratique un protectionnisme outré. Dans les Indes mêmes, l’Allemagne a vendu il y a quelques années pour 300 millions. Les diverses parties de l’empire colonial, déjà presque indépendantes, peuvent un jour se séparer de la métropole, si des questions d’intérêt les y amènent ! Aux nations triomphantes, comme aux triomphateurs antiques, on peut rappeler le mot : Souviens-toi que tu es mortel.

Si maintenant nous suivons jusqu’en Amérique les Anglo-Saxons, que l’on nous propose comme modèles, il est incontestable que cette race ou cette nationalité y a eu le principal honneur. Elle a fourni, avec les institutions essentielles, le premier fond psychologique et moral du caractère américain. Il n’en est pas moins vrai que, de plus en plus, l’Américain est multiple et multicolore selon le pays, la race et la religion, alors même qu’il s’attribue le titre honorifique d’Anglo-Saxon. Dès lors, ce titre n’a plus aucune valeur scientifique ni historique. Les États-Unis, qui comptaient 4 millions d’âmes en 1790 et en ont aujourd’hui près de 70, sont composés d’États ayant chacun sa physionomie propre et ses centres d’activité ; l’immigration amène par mois 50 000 habitans, dont les meilleurs arrivent d’Angleterre, de France, de Scandinavie et d’Allemagne, les plus dangereux de Russie, d’Italie, de Pologne et de Hongrie. 00 pour 100 des immigrans de ces derniers pays ne savent pas lire. Dans la population entière des États-Unis, il y a 29 pour 100 d’habitans d’origine étrangère. En mettant de côté les criminels noirs, les prisons pénitentiaires offrent, parmi 100 prisonniers, 51 d’origine étrangère ; dans les maisons d’assistance, 60 pour 100. Les Chinois sont nombreux, malgré les lois restrictives. Dans de telles conditions, il se produit nécessairement aux États-Unis le plus singulier mélange de races, qui donne aux caractères quelque chose d’instable et empêche toute définition générale, toute qualification commune. Ajoutez que, en 1890, la population de couleur, dans les États-Unis, était de 20 pour 100. Le gouvernement américain a prohibé l’importation d’esclaves, puis encouragé l’immigration des blancs à tel point que la proportion des gens de couleur est tombée à 15 pour 100. Malgré cela, elle s’accroît d’une manière très inquiétante dans les États du Sud. Dans les anciens États à esclaves, ils seront deux pour un vers 1920. Si, par divers amendemens à la constitution fédérale, les noirs ont gagné l’égalité politique, ils sont loin de l’égalité sociale.