Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commerce et au droit. » Il faut encore ici chercher d’autres causes que la race.

L’Italie, notamment, traverse une crise morale non moins grave que la nôtre et que celle de l’Espagne, peut-être plus grave encore. Déjà, en 1879, M. Garofalo écrivait : « L’Italie est rongée par la terrible infirmité du crime, corrosa dalla terribile infirmità del delitto. » D’après la statistique criminelle, le chiffre des délits y atteint, dans son ensemble, le double de la moyenne des autres pays. La criminalité violente y est beaucoup plus élevée que partout ailleurs. Il y a en Italie, à chiffre égal de population, seize fois plus d’homicides qu’en Angleterre (vingt fois plus en 1889), neuf fois plus qu’en Belgique, cinq fois plus qu’en France, deux fois plus qu’en Espagne même. Si l’on divise l’Italie en trois zones, Lombardie, Centre et Midi, on trouve dans la première trois homicides sur 100 000 habitans, dans la seconde dix, dans la troisième seize[1]. Question de culture sociale et non de climat ou de race, car, du temps de la Grande-Grèce, la proportion était assurément renversée.

L’augmentation de la criminalité est surtout due aux facteurs moraux et sociaux. M. Tarde a dit avec beaucoup de raison : « La moralité d’un peuple est si étroitement liée à la fixité de ses mœurs et de ses coutumes, comme, en général, celle d’un individu à la régularité de ses habitudes, qu’il ne faut pas s’étonner de voir les époques troublées par de grandes crises, les nations remuées par la longue lutte de deux cultes, de deux civilisations, de deux partis, de deux années, se signaler par leur criminalité exceptionnelle[2]. » Toutes les révolutions produisent un accroissement d’immoralité. Depuis la révolution de 1789 et celles qui l’ont suivie, le résultat a été visible en France. En Italie, non seulement la révolution a remué, comme il était inévitable, les élémens fangeux que contient toute société, mais elle s’est réalisée en antagonisme direct avec la papauté et le catholicisme, c’est-à-dire avec les éducateurs moraux d’une nation où morale et religion furent toujours fondues ensemble ; de là un amoindrissement simultané du sentiment religieux et moral dans la péninsule. Parmi les facteurs de la delinquenza, les statistiques officielles signalent entre autres : « l’affaiblissement du sens moral dans les populations »

  1. A Côme, il n’y a que deux homicides par un pour 100 000 habitans, à Agrigente, il y en a 50.
  2. Criminalité comparée, Paris, Alcan, 1893.