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italien, qui a conscience de son extrême souplesse intellectuelle ; il s’en tient à une besogne spéciale, et l’accomplit avec une persévérante opiniâtreté. S’il passe d’une occupation à une autre, il ne prétend jamais faire deux choses à la fois. Le commerçant anglais n’essaie pas d’étendre sans cesse les objets et la nature de son commerce, d’ajouter sans cesse des occupations nouvelles aux anciennes : il élargit sa clientèle et le chiffre de ses affaires pour un objet déterminé, auquel il s’attache exclusivement et qu’il perfectionne courageusement. La politique anglaise repose également sur la division du travail ; elle met à part, pour l’intérêt de la nation, une dynastie toujours chargée de cet intérêt ; elle met à part une Chambre des lords chargée de maintenir les traditions gouvernementales et de constituer une aristocratie ayant sa tâche politique. Elle ne confiera pas tout à la royauté, ni à la Chambre des lords, ni à la Chambre des communes : séparant les pouvoirs, elle distribuera à chacun sa besogne spéciale pour le bien général. La manie de tout faire, de tout mêler, de tout égaliser, de tout ramener à l’uniformité, n’indique pas, chez les Néo-Latins, une infériorité intellectuelle, mais plutôt le sentiment d’aptitudes intellectuelles très variées, avec une plus grande mobilité des goûts d’où résulte un défaut traditionnel de concentration. L’Anglo-Saxon et le Germain sont meilleurs ouvriers ; le Néo-Latin est plus artiste. Dans notre monde d’industrie mécanique, qui n’est plus l’ère des artisans, des outils et des chefs-d’œuvre de maîtrise, l’art importe moins qu’une application soutenue : c’est ici que le génie devient une longue patience. Ne faut-il point pourtant qu’il existe des peuples plus portés à maintenir en toutes choses les qualités de goût, d’art et d’inspiration ?


V

Un des plus grands chefs d’accusation contre les races latines, c’est le taux de leur criminalité. Considérez l’Espagne, moins la Catalogne, la Sardaigne, la Sicile, la Corse même, enfin les anciens États romains et napolitains, vous remarquerez avec les statisticiens un énorme taux de criminalité à peu près semblable. Faut-il donc accuser la race latine ou méditerranéenne d’être « impropre à une civilisation élevée ? » Mais c’est de la plupart de ces contrées que, au moyen âge, venait la lumière ; ce sont elles qui initiaient l’Europe septentrionale « aux arts, aux sciences, au