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un gouvernement faible, » de « ne respecter et redouter qu’un gouvernement fort. » M. Garofalo dit, avec quelque exagération peut-être, que pour ce peuple, toute coercition de la part de l’autorité est une vexation intolérable. « Il n’y a pas d’exemple eu notre pays d’un règlement quelconque auquel on obéisse tranquillement. » Chaque année, beaucoup d’agens de police, « victimes ignorées du devoir, tombent sous le couteau des scélérats qu’ils avaient surpris en faute. » Quelque nouvelle loi qu’on fasse, « notre peuple ne se préoccupe que d’une chose : trouver le meilleur moyen de l’éluder. » — « L’intolérance de tout frein » est une des « caractéristiques de l’Italien ; » seul le service militaire, avec ses peines sévères et immédiates, parvient à en triompher pour quelques années. « L’Italien, à tous les momens de sa vie, veut faire seulement ce qui lui plaît. » L’Espagnol, lui aussi, offre un individualisme replié sur soi et un étonnant esprit de rébellion à l’égard de la discipline sociale. La race, a dit Mme Pardo-Bazan, a un instinct d’anarchie individualiste qui « empêche toute œuvre collective » et qu’on ne doit pas confondre avec l’instinct d’indépendance[1].

Chez le Français, l’indiscipline et l’individualisme d’humeur sont en partie compensés par l’extrême sociabilité, par l’esprit de suite et même d’imitation. En France, ou du moins dans la société française, l’individu a toujours eu moins d’importance que n’en ont les relations des individus entre eux. A l’individualité libre nous avons substitué trop volontiers la société anonyme et irresponsable. On nous déclare, en conséquence, socialistes d’instinct et par fatalité « latine ! » On oublie combien de variétés individuelles, trop souvent indisciplinées, se cachent, en France même, sous l’apparente uniformité des manières et sous l’impersonnalité de la politesse. Ce qui est incontestable, c’est que le sentiment de sociabilité est très développé en France et que la justice a fini par apparaître aux Français comme de nature éminemment sociale. Ce n’est pas là, à coup sûr, une infériorité : pour le philosophe, la justice sociale est la seule vraie justice.

Aux yeux des Romains, l’Etat était tout, l’individu empruntait sa valeur à l’Etat, il n’avait, en quelque sorte, qu’une valeur sociale. Dans le christianisme, l’individu acquiert une valeur infinie, mais il est en même temps un simple membre de la cité

  1. Si cet instinct a parfois contribué à la défense du sol, il a plus souvent « rendu inefficace la loi, allumé la discorde, et dispersé les forces nationales. »