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intellectuelle, plus industrielle et plus démocratique, c’est-à-dire plus moderne. L’intelligence plus développée accroît la prudence pour l’avenir de la famille, en même temps que l’ambition ; les besoins croissent aussi dans les milieux plus industriels ; enfin la démocratie, en répandant l’égalité, généralise l’ambition d’arriver, qui entraîne la nécessité de restreindre les charges de famille pour alléger sa marche. Sous tous ces rapports, est-ce les nations latines qu’il faut accuser ? Si la France sert ici de texte aux plaintes de dépopulation, songez que le taux de la natalité diminue d’une manière plus considérable encore en Angleterre et aux Etats-Unis. Tandis que la France, par exemple, passait en dix ans du taux de 22,6 pour 100 à celui de 22,1, l’Angleterre passait du taux de 36,3 à celui de 30,8, diminution énorme. Elle a encore une supériorité acquise, mais cette supériorité va diminuant plus vite qu’ailleurs. Comment donc admettre que les Anglo-Saxons nous donnent ici l’exemple ? Des préceptes, oui, ils en sont prodigues ! Mais leurs actions, comme il arrive trop souvent, contredisent leurs sermons, et ce sont précisément les Italiens ou les Espagnols qui donnent ici le bon exemple.

Il en est de même pour un autre symptôme fâcheux : l’exode vers les villes, qui dépeuple les campagnes, entasse pêle-mêle les travailleurs dans un milieu malsain au point de vue physique et au point de vue moral, leur donne le goût du plaisir et de la vie mondaine, éveille leurs ambitions aux dépens de leur sobriété, de leur fécondité, de leur santé. Où cet exode est-il le plus considérable ? — En Angleterre, en Allemagne. Ici encore les détracteurs de la France la laissent bien loin derrière eux.

Un autre orgueil des Anglo-Saxons, c’est qu’ils colonisent. Mais les Romains ont été les premiers colonisateurs du monde, tout latins qu’ils fussent ; les Français ont été jadis de grands colonisateurs, tout latins qu’on les prétende. S’imagine-t-on que le Canada eût cessé de prospérer s’il fût resté en notre pouvoir, et voit-on aujourd’hui que les vieux Français s’y montrent inférieurs aux Anglo-Saxons ? Les Espagnols et les Portugais ont devancé les Anglais. Les Allemands ont beau être de race germanique, ils ne colonisent pas encore, mais attendez demain ! Tout peuple dont la population déborde émigré et, s’il le peut, conquiert les pays où il émigré. La France d’aujourd’hui a beau ne pas émigrer, — étant à l’aise et au large chez elle, — elle a conquis un vaste empire colonial ; et ne serait-ce pas une des raisons