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sociologie ne sauraient méconnaître. C’est ce qu’oublient les partisans des doctrines courantes sur les prétendues « fatalités » inhérentes à tous les peuples néo-latins. On retrouve ces doctrines dans l’intéressant ouvrage de M. G. Ferrero sur l’Europa giovane, où l’auteur partage, avec beaucoup de simplicité, l’Europe en deux camps : les races du Nord et les races prétendues latines. M. G. Sergi, plus récemment encore, a étudié les causes de la « dégénérescence » des Néo-Latins. Faut-il donc admettre comme des conclusions scientifiques ces prophéties hasardeuses qui veulent imposer d’avance à tous les peuples de langue néo-latine une destinée semblable, inférieure à la haute mission que s’attribue l’orgueil des races germaniques et anglo-saxonnes ? Il nous semble impossible de rendre ainsi solidaires l’Espagne, l’Italie et la France. L’Italie, notamment, qui est le type même des nations latines, présente au philosophe, malgré les difficultés qu’elle traverse, un éclatant exemple de toutes les ressources morales et sociales cachées au sein des nations qui avaient paru s’affaisser ou s’endormir. Elle a monté dans ce siècle, elle continue de monter sous nos yeux. Elle nous fait voir que chaque grand peuple a sa vitalité profonde et son caractère propre ; qu’il est lui-même en majeure partie l’auteur de ce caractère et peut, dans l’avenir, par sagesse ou par folie, lui faire produire de bons ou mauvais fruits pour l’humanité entière.


I

Et d’abord, où est-elle, cette « race latine » dont on parle sans cesse et dont on prétend a priori déduire le sort futur, selon la méthode géométrique chère à Taine ? Le vrai peuple latin, ce fut sans doute l’antique peuple romain, et s’il y a chez les Latins comme tels une infériorité de « race, » c’est chez les Romains qu’elle aurait dû éclater. Comment donc se fait-il qu’ils aient conquis, organisé, réformé le monde ? Pour Nietzsche, le Germain est la « noble bête de proie blonde, » qui abat ses « griffes » sur les peuples plus paisibles, plus serviles. Et pourtant c’est un Latin qui, résumant l’histoire d’une autre race de proie, a prononcé le debellare superbos, en y ajoutant un correctif que Nietzsche n’eût pas admis : parcere subjectis.

La France, qui sert de thème aux déclamations contre les peuples néo-latins, n’a de latin que sa langue et une partie de