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administratives), et le hollandais, qu’on ne connaissait guère en dehors de l’ancien territoire des Provinces-Unies, comment opérer soit un partage, soit un mélange ? Y aurait-il deux langues également employées dans les actes officiels ; et, s’il n’y en avait qu’une, à laquelle donner la préférence ? La question était en réalité très délicate, et, dans quelque sens qu’elle fût résolue, beaucoup de ménagemens étaient nécessaires pour ne pas heurter de part ou d’autre les habitudes et les convenances. Un décret royal n’y mit pas tant de façons et déclara simplement que la langue hollandaise, étant la seule langue nationale, serait aussi seule admise dans les actes administratifs et judiciaires, et que la connaissance en serait exigée pour exercer une fonction publique. C’était frapper d’incapacité tous les Belges qui n’étaient pas d’âge ou d’humeur à apprendre une langue que personne ne savait, et condamner ceux qui prétendaient à une profession libérale à une étude aride et stérile. On conçoit d’ailleurs quelle complication résultait de cette exigence inattendue dans toutes les relations de la vie civile et sociale. C’était une gêne de tous les instans, et cependant l’impatience causée par une série de vexations quotidiennes, bien que très grande assurément, ne fut rien auprès du sentiment de révolte qu’éprouva la Belgique entière, à se voir englobée, par une sorte de prétention dédaigneuse et comme une simple dépendance, dans une nationalité qui n’avait jamais été la sienne et qui ne lui rappelait que de pénibles souvenirs.

L’affront parut d’autant plus sensible que, si un choix à faire était nécessaire, il n’y avait entre la langue qu’on demandait aux Belges d’oublier et celle qu’on les contraignait d’apprendre, au point de vue de l’utilité, de la dignité et de l’éclat, aucune égalité ni même aucune comparaison possible. Le hollandais était un des nombreux dérivés de l’allemand que personne, en dehors des lieux où l’usage en était requis pour les besoins de la vie courante, ne songeait à enseigner ni à apprendre. Le français, au contraire, jouissait d’une prééminence que nul alors ne contestait : c’était la langue de la politique et des grandes affaires, illustrée depuis deux siècles par tous les chefs-d’œuvre de l’éloquence et de la poésie. Parler le français correctement et l’écrire avec élégance, c’était pour tout pays un brevet de bonne éducation, dont chacun tenait à se faire honneur. La Belgique regardait comme un avantage dont elle était justement fière que la grande majorité de ses habitans fût en droit de considérer cet organe