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nommé droit d’abatage, en raison d’un procédé vexatoire qui dut être employé pour en assurer la perception. Ainsi, pendant que le cultivateur belge avait à se plaindre d’un surcroît d’exigences qui s’aggravait tous les jours, il ne pouvait manquer de remarquer que le commerce, principale industrie de la Hollande, ne subissait aucune surcharge. D’ailleurs, par le fait seul que la Belgique était plus riche et plus peuplée que la Hollande, eût-on observé une rigoureuse égalité dans la répartition des charges individuelles, c’est toujours elle qui, au total, aurait payé la plus grosse part des recettes encaissées par le fisc.

Mais, si cette partialité systématique de Guillaume pour ses anciens compatriotes était sensible dans les actes qu’il devait soumettre à l’apparence d’un contrôle législatif, la même tendance était plus choquante (et il ne prenait pas même la peine de la déguiser) là où sa prérogative, exercée par des ministres aussi aveugles que lui, pouvait se faire sentir sans rencontrer aucune résistance, comme dans le choix des fonctionnaires. Ainsi, au bout de dix ans, par suite d’une série de nominations ou d’éliminations opérées dans le même esprit, on put faire le compte que, dans le personnel des diverses administrations, la Belgique n’était plus représentée que par une proportion d’un tiers, et dans l’état militaire, c’était à peine le quart. Tous les officiers de grade supérieur étaient Hollandais, et l’armée, tenue en main par le prince d’Orange comme général en chef, semblait toute préparée pour devenir un instrument d’oppression plus que de défense nationale.

Ce n’était pas tout et ce n’était pas même le comble. On sait que les hommes et même les peuples sont souvent plus sensibles à ce qui blesse leur amour-propre qu’à ce qui lèse leurs intérêts ; aussi les populations belges, malgré un mécontentement devenu très général, auraient-elles peut-être pris assez longtemps en patience le tort et même les souffrances matérielles causées par l’injuste préférence dont on les rendait victimes. Ce qui acheva de les exaspérer, ce fut un acte arbitraire où elles virent surtout une offense à leur dignité. La diversité des langues en usage dans les deux parties du royaume était au nombre des difficultés qu’on aurait dû prévoir, et qui ne pouvaient manquer de se présenter dès les premières relations qu’il s’agit d’établir entre elles. Entre le français, à peu près seul usité dans l’ancienne Belgique (au moins dans les classes éclairées et dans les habitudes