Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévotion. Aussi, bien que, par nature et par tendance d’esprit, il fût le moins libéral des hommes, Guillaume dut se prêter en faveur de ces discrets auxiliaires à quelques complaisances, qui n’étaient sûrement pour lui affaire ni de goût ni de choix. On s’en aperçut surtout au bon accueil qu’il laissa faire aux réfugiés français, bannis à la suite des Cent Jours, qui comptaient, dans les rangs des libéraux, beaucoup d’amis, autrefois leurs collègues dans les fonctions du régime impérial. On s’étonna et même on s’émut un peu à Paris de la facilité avec laquelle ces fugitifs s’établissaient comme chez eux dans une sorte d’asile à la porte de France, de la hardiesse du langage qu’on leur laissait tenir, des intrigues et des correspondances qu’on leur permettait d’entretenir, des publications hostiles qu’ils faisaient librement circuler, avant de les expédier en France par des voies clandestines. Plusieurs fois, des réclamations furent adressées par les ministres de Louis XVIII à l’administration néerlandaise qui, pour ne pas blesser la presse libérale, ou du moins pour ne pas cesser de mériter ses complimens, fit longtemps la sourde oreille et n’usa que dans des cas très rares du droit d’expulsion qui lui appartenait.

De la part du roi lui-même, dans la situation que les ordres de la coalition européenne lui avait faite, ces manèges de peu d’importance avaient tout au plus pour but de favoriser quelque tactique électorale. Est-il vrai que, chez son héritier, qui avait pris le nom de prince d’Orange et qui, habitant ordinairement Bruxelles, s’y était acquis une sorte de popularité, ce fût quelque chose de plus, et qu’il y mêlât des vues d’avenir et d’ambition personnelle ? Eut-il en réalité l’idée étrange que, grâce à sa bonne renommée de libéralisme, et aux ménagemens qu’il avait eus pour ses hôtes proscrits, il pourrait, en cas de révolution en France, le trône devenant vacant, être appelé à s’y asseoir ? Ce soupçon fut alors très répandu, mais repoussé par des juges sensés comme absurde et imaginaire. Comment croire en effet qu’un prince qui avait porté les armes contre la France, et était entré sur son territoire avec ses vainqueurs, pût espérer être couronné par des conspirateurs émérites et de vieux soldats de Napoléon ? Le fait est pourtant aujourd’hui confirmé par des témoignages irrécusables, et ne peut s’expliquer que par l’état d’égarement et de fureur où la défaite des Cent Jours avait jeté les ennemis de la Restauration. Tout leur était bon pour la combattre, et ils faisaient réellement le tour d’Europe en quête d’un prétendant à lui opposer. A défaut