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pourvoir en garnissant la frontière belge d’une série de forteresses qu’elles durent ériger ou réparer à frais communs, moyennant des sommes prises sur l’indemnité que la France était condamnée à payer à ses vainqueurs. L’Angleterre fut chargée d’y contribuer pour la grosse part, et le roi des Pays-Bas lui-même seulement pour la plus faible. C’était attester qu’il n’était ni le seul ni même le plus intéressé à maintenir en état cette armature préparée contre l’ennemi commun. Les places fortes d’Ypres, de Menin, de Tournay, de Mons, de Charleroy, de Namur, de Philippeville et de Marienbourg formèrent une chaîne puissamment liée, allant de l’ouest à l’est et dont le dernier anneau était la citadelle de Luxembourg, qui, placée en territoire fédéral, ne devait recevoir de garnisons que de la fédération elle-même. C’était le vainqueur de Waterloo, le duc de Wellington lui-même, qui était venu choisir et visiter les points à couvrir et qui restait chargé de diriger et d’inspecter les travaux jusqu’à leur complet achèvement. Dans de telles conditions, le roi des Pays-Bas ne pouvait en réalité se regarder que comme une sentinelle placée au pied d’un rempart dont tous les canons braqués contre nous pouvaient servir aussi bien, suivant le mot d’ordre qui lui serait donné, à l’agression qu’à la résistance.

L’œuvre ainsi parfaite, ses auteurs ne pouvaient se défendre de la contempler avec un regard d’admiration enthousiaste ; aussi lord Castlereagh, dans une lettre à un de ses alliés, s’extasiait sur la merveilleuse position de ce royaume des Pays-Bas qui, fortement appuyé d’une part sur l’Allemagne, et de l’autre communiquant avec l’Angleterre par un détroit qu’une escadre pouvait traverser en quelques heures, formait ainsi un centre tout préparé pour la réunion d’une coalition nouvelle. Et l’aide de camp du maréchal Blücher, écrivant à un officier anglais qui portait un nom destiné plus tard à une renommée fâcheuse[1], s’écriait : « Ce qui doit surtout inquiéter la France, c’est ce nouveau royaume des Pays-Bas, formidable bastion, qui prend si bien en flanc toute invasion que la France pourrait projeter sur l’Allemagne et qui, en même temps, sert de tête de pont (à vous Anglais) pour votre passage par mer. »

Ces félicitations mutuelles étaient bien placées, car jamais la haine et la rancune ne pouvaient se flatter d’avoir été mieux

  1. Mémoires de sir Hudson Lowe, le gardien de Napoléon à Sainte-Hélène, t. I, p. 433.