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C’est à la Belgique que ce rôle est assigné : on lui met en mains, dit un de ses historiens récens, la clef d’une citadelle érigée par l’Europe pour sa défense. Mais cette clef, elle ne sera pas seule à la garder : si la maison d’Autriche reste bien nominalement en possession de son héritage, c’est en dépôt plutôt qu’en souveraineté qu’on le lui laisse, car une clause expresse des traités d’Utrecht et de Rastadt lui interdit d’en faire l’objet d’aucune cession territoriale, notamment à la France ou à aucun prince français, et, afin d’empêcher que cette prohibition soit enfreinte, on lui impose des contrôleurs pour en surveiller l’exécution. La Hollande, qu’on suppose plus intéressée qu’aucune autre à tenir la France à distance, est chargée d’entretenir dans les principales places fortes de la Belgique des garnisons soldées par l’Autriche, moyennant une subvention dont le montant est fixé d’avance par un article séparé des traités. Savante combinaison, qui prétend unir la force de deux États en chargeant l’un de monter la garde autour du camp retranché construit sur le territoire de l’autre, et qu’on qualifie, dans la langue diplomatique du temps, du nom expressif de traité de la Barrière.

Mais les calculs en apparence les mieux faits sont souvent exposés à de prompts mécomptes. La fameuse barrière, moins de trente ans après avoir été érigée, est enjambée du premier bond par les armées victorieuses du maréchal de Saxe. Des prescriptions de ce traité sont bien encore reproduites dans les traités suivans, mais elles tombent l’une après l’autre en désuétude, jusqu’à ce que toute trace en disparaisse, avec les forteresses de défense rasées, la veille du jour où la Révolution française déchaîne sur l’Europe un flot irrésistible d’insurrections, puis de conquêtes qui, supprimant toutes les anciennes divisions territoriales, confondant tous les intérêts, faisant taire toutes les rivalités, englobe Hollande et Belgique ensemble, comme des quantités insignifiantes, avec toute l’Italie et la moitié de l’Allemagne, dans la masse informe de l’empire de Napoléon.

C’est ainsi que tout était remis en question quand le colosse, en s’effondrant, écrasa l’Europe du poids de sa chute et laissa aux puissances dont la coalition l’avait abattu le soin de poser, sur ce sol encore tout ébranlé et béant, les bases d’un nouvel équilibre. Il n’est donc pas étonnant que ceux qui portèrent alors la parole en leur nom se soient montrés animés contre les souvenirs et les menaces de la prédominance française d’une passion aussi ardente