Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

placée cette étendue de plaines et de côtes connue autrefois sous le nom commun de Pays-Bas et dont la Belgique d’aujourd’hui ne forme qu’une partie.

Sans même pousser cette étude bien loin, un simple coup d’œil sur la carte suggère tout de suite une remarque très instructive. On ne voit pas sans surprise, dans cet espace resserré, inscrits de lieu en lieu et tout à côté les uns des autres, des noms qui rappellent d’illustres et sanglantes batailles où le sort de l’Europe a été en jeu. Il semble qu’on fasse une promenade militaire qui, partant de Bouvines, passe par Courtray, Cassel, Rocroy, Lens, Senef, Fleurus, Malplaquet, Ramillies, Denain, Fontenoy, Raucoux, Lawfeld et Jemmapes pour aboutir à Ligny et à Waterloo. Veut-on pénétrer ensuite dans l’intérieur du pays ? On ne rencontre que forteresses dont les sièges faits et refaits à plusieurs reprises par des armées marchant sous les enseignes les plus différentes ont été illustrés moins par d’éclatans faits d’armes que par les conséquences politiques que les vainqueurs en ont su tirer. C’est Bruxelles, puis Mons, puis Tournay, Ypres, Namur, Berg-op-Zoom, Maëstricht et enfin Anvers. Jamais coin de terre n’a été abreuvé de plus de sang humain.

La singularité du fait s’explique quand on remarque que, par sa position géographique, cette contrée était véritablement prédestinée à devenir le lieu de rencontre de tous les grands États et le champ clos de leurs armées. Trois en particulier, France, Angleterre, Allemagne, ont eu toujours un intérêt égal, soit à y établir leur domination, soit à n’y pas souffrir de rivale, moins dans un dessein d’ambition et de conquête que par un souci légitime de défense et de sécurité personnelle.

Ce fut, de tout temps, le cas, je viens de l’indiquer, de la France plus que de toute autre. Séparée par une ligne indécise et toujours mobile de territoires que rien ne distingue extérieurement des siens, il y allait de sa sûreté, et même à certains jours de son existence, à ne pas y laisser établir un voisinage inconnu ou suspect. S’y étendre, s’y fortifier, se l’approprier même en tout ou en partie, devait paraître, à tout souverain français, la meilleure et peut-être la seule manière un peu sûre de prendre et de garder les clefs de sa maison ; mais, précisément parce que c’était la politique naturelle et toujours soupçonnée de tout gouvernement français, un sentiment de défiance analogue devait dicter des précautions contraires à des intérêts opposés. L’Allemagne, de