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M. Etienne moins que personne, n’a accusé un membre du ministère de s’être laissé guider par un intérêt personnel de cette nature. M. Chamberlain lui-même, qui s’est trouvé être un des actionnaires de la Compagnie du Niger, le lendemain du jour où cette compagnie a été rachetée par l’État, M. Chamberlain est étranger à la Chartered, la fameuse Chartered dont les opérations dans le sud de l’Afrique ont fait de M. Cecil Rhodes un si puissant personnage. Nous en sommes convaincus ; mais, si cela est vrai pour les ministres, cela ne l’est certainement pas pour un nombre infiniment considérable d’Anglais qui tiennent à la politique et qui comptent dans les classes les plus élevées et les plus influentes. Ici, les dénégations de lord Salisbury ne convaincraient personne ; aussi s’en est-il abstenu.

On a été très sévère pour nous lorsque des événemens pénibles ont montré que notre monde politique et parlementaire n’avait pas toujours été exempt de faiblesses à l’égard des entreprises où il y avait de l’argent à toucher, et il en est résulté quelque déconsidération passagère pour le gouvernement de la République. Eh bien ! on peut dire hardiment que le mal qui s’est révélé chez nous paraîtrait, en somme, très superficiel, si on savait combien plus profondément il est entré dans certaines autres sociétés et les a gangrenées tout entières. On attaque continuellement la France et où s’applique à la discréditer. Tantôt c’est un pays où les consciences sont à acheter et appartiennent au plus offrant ; tantôt un pays où le sentiment de la justice est éteint, s’il y a jamais existé, et où la loi descend, dans les mains mêmes des juges, au niveau des intérêts politiques ou des passions de parti. Nous ne prétendons pas être sans péché, mais, si ceux qui n’ont rien à se reprocher se permettaient seuls de nous jeter la pierre, nous serions bien tranquilles. Ce n’est pas, en tout cas, du côté de l’Angleterre que nous viendrait la lapidation. M. Cecil Rhodes doit sourire de pitié lorsqu’on lui dit qu’il n’a corrompu personne, et que le mouvement d’opinion qui s’est produit en faveur de ses projets tient aux causes les plus pures et les plus désintéressées ; il sait à cet égard à quoi s’en tenir ; mais il s’en faut de peu que le monde entier ne le sache aussi bien que lui. Il s’est assuré des concours extrêmement précieux, des complicités très efficaces, et on peut croire qu’il n’a pas manqué d’y faire appel dans ces derniers temps. En effet, les affaires de la Chartered allaient médiocrement ; elles allaient même mal, et on commençait à craindre un de ces kracks douloureux qui n’accumulent pas seulement des ruines matérielles, mais qui mettent à nu tant de défaillances et de complaisances morales. C’est que la