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de l’auteur de Faust, aux diverses périodes de sa vie, sont ce qu’il appelle des manifestations d’une « critique productive. » De même que d’autres poètes prennent le point de départ de leur inspiration dans leurs sentimens personnels ou dans leur fantaisie, Goethe, lui, le prenait dans ses réflexions critiques. Et cela ne signifie pas seulement qu’il se plaisait à convertir en poésie les doctrines philosophiques qui s’offraient à sa pensée : le critique, chez lui, avait sur le poète une influence plus directe encore. « Quand il trouvait, dans l’œuvre d’un autre poète, des qualités mêlées de graves défauts, il se sentait inévitablement tenté de refaire cette œuvre, pour l’amener à un plus haut degré de perfection artistique. » Le plus grand des poètes allemands a passé toute sa vie à refaire des œuvres de ses confrères, qu’il jugeait mal faites : depuis ses premières odes jusqu’à son Faust, ses plus beaux écrits ne sont, en quelque sorte, que des « corrigés, » des exemples de la façon dont doivent être traités les divers sujets qui y sont traités.

Lui-même disait à Eckermann, en 1827, que « c’était la contradiction qui le rendait productif. » Et non moins significative, à ce point de vue, est la Confession publiée par lui à la fin de son Histoire de la Théorie des Couleurs : « Ma relation à l’égard de la poésie, y écrit-il, a toujours été d’ordre tout pratique. Quand un modèle me passionnait ou que l’œuvre d’un devancier me séduisait, je les portais et les agitais en moi durant des années, jusqu’à ce qu’enfin ils y produisissent quelque chose que je pouvais considérer comme m’appartenant en propre : et c’est ce produit que, instinctivement, je fixais sur le papier dès que sa longue gestation l’avait fait viable. »

De quelque côté qu’on se tourne, en effet, dans l’œuvre de Goethe, toujours le critique apparaît derrière le poète. Tantôt il suggère au poète le désir de caricaturer de méchans ouvrages, et Gœthe écrit les Dieux, les Héros et Wieland, où il ridiculise, en les exagérant, les défauts de l’Alceste de son illustre rival. Tantôt le critique signale au poète des modèles à imiter : et Gœthe écrit Gœtz de Berlichingen pour continuer Shakspeare ; il écrit Werther pour donner un pendant à la Nouvelle Héloïse ; il s’inspire d’Homère pour créer l’Achilléide ; il essaie de transporter dans son Divan oriental les sentimens et les images qui l’ont frappé chez les poètes persans. Mais sa « critique productive » ne s’en tient pas là : et sans cesse nous le voyons expressément occupé à recommencer, pour les améliorer, les œuvres de ses confrères ou de ses devanciers.

Il écrit à son ami Behrisch, le 17 octobre 1767 : « J’ai fait le plan