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Simplicité, bonté naïve et résignée, voilà donc les caractères de l’âme russe que nous avons trouvés dans l’œuvre de l’un des premiers musiciens de la Russie. Elle en possède encore d’autres. Autant que la terre où elle est née, cette musique exerce « l’attrait des grandes tristesses, le plus puissant peut-être, parce que chacun de nous pleure dans le meilleur de son âme je ne sais quelle chose perdue qu’il n’a jamais connue[1]. » Cette musique enfin semble parfois ressentir et nous communiquer une vague et mystérieuse inquiétude. Comme l’âme russe toujours, elle cherche, elle se tourmente, elle implore. Il y a dans la partition de M. Rimsky-Korsakow, surtout dans le rôle de Sniegourotchka, des élancemens de désir et d’angoisse. « Faites-moi croire ! Faites-moi croire ! » criaient un jour deux jeunes Russes à l’orateur qui haranguait une assemblée religieuse. Dans une scène de l’opéra de M. Rimsky-Korsakow, tandis que Lel chante, Sniegourotchka penche en pleurant la tête sur l’épaule du berger mélodieux, et ses larmes et son silence même semblent dire pareillement : « Faites-moi aimer ! »


Dans le beau livre où nous avons puisé souvent, M. de Vogüé rapporte ce mot du poète Tutchef : « On ne comprend pas la Russie avec la raison ; on ne peut que croire à la Russie. » Pour cette musique russe dont nous aurions voulu mieux parler, nous ne souhaitons pas davantage. Que le directeur d’un de nos théâtres croie seulement en elle : elle ne le trahira pas.


CAMILLE BELLAIGUE.

  1. M. le vicomte E.-M. de Vogüé, le Roman Russe.