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REVUE MUSICALE

UN OPÉRA RUSSE - Sniegourotchka (la Fille de neige), de M. Rimsky-Korsakow.

« L’entreprise est trop folle de parler sur des œuvres dont on ne peut rien montrer. C’est vouloir saisir des nuages qui passent dans un autre ciel. » Voilà ce qu’un maître critique a dit de la poésie russe, en s’excusant de ne la point traduire[1]. Et cela est vrai de la musique, de la musique russe surtout, encore plus que de la poésie. Mais l’œuvre que nous venons de lire est si charmante que nous entreprenons, — follement peut-être, — d’en répandre le charme. De beaux nuages passent là-bas, dans le ciel du Nord ; sans vouloir les saisir, arrêtons-nous un moment pour les voir passer.


I

Sous ce ciel pâle, dans une Russie de légende ou de rêve, il y avait une fois une belle et froide jeune fille. Elle s’appelait Sniegourotchka (la Fille de neige). Son père était le bonhomme Hiver, et sa mère la fée Printemps (en russe, la plus capricieuse des saisons est une femme). Ses parens l’avaient élevée dans la solitude et la froidure, parce que l’Été jaloux s’était juré de la tuer en la faisant fondre au premier rayon de soleil et d’amour. Mais un matin l’enfant souhaita de partir et d’aller vivre de la vie humaine. Elle avait entendu de loin les chansons de Lel, un berger ; elle l’avait aperçu lui-même jouant avec des jeunes filles, et ces jeux et cette voix avaient troublé son cœur. Ne pouvant plus retenir leur fille, l’Hiver et le Printemps la confièrent à des paysans qui demeuraient aux portes de la ville. L’Hiver lui

  1. M. le vicomte E. -M. de Vogüé, le Roman Russe.