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d’autres puissances qui poursuivent la même grande œuvre que nous[1].  » Malheureusement, toutes les paroles des hommes d’État et des écrivains britanniques ne sont pas empreintes d’un bon sens aussi rassurant : c’est de la politique « impérialiste » que vient, en Chine comme en Afrique et dans le monde entier, le péril présent. Malgré ses prétentions et les chiffres enflés de son commerce, l’Angleterre comprend qu’elle manque en Chine d’un point d’appui territorial : de là ses efforts pour rejoindre la vallée du Yang-tsé à la Birmanie, de là sa jalousie envers la Russie, qui est chez elle, et envers la France, qui s’est créé en Indo-Chine un empire. Le commerce britannique lui-même ne gardera pas la situation prépondérante qu’il a acquise en un temps où presque seul il recherchait la clientèle de l’Extrême-Orient. Les statistiques peuvent faire illusion, car elles comptent à l’actif de l’Angleterre tout le trafic de Hong-kong, qui est en réalité un dépôt international. Le commerce anglais l’emporte encore sur tous les autres ; mais la prodigieuse croissance des exportations américaines, et, dans une moindre proportion, japonaises, est une menace inquiétante pour sa prépondérance. Il est fatal que le Japon, les États-Unis, les Indes, devenus des pays producteurs d’objets fabriqués, supplantent sur les marchés d’Extrême-Orient les articles britanniques. On retrouve cette inquiétude très nettement sentie au fond des tentatives des Anglais pour accaparer, avec la vallée du Yang-tsé et d’autres provinces encore, tous les grands centres de production et de consommation du Céleste Empire. Au besoin, l’heure venue, et pour sauvegarder les intérêts des commerçans du Royaume-Uni, l’on saurait bien « fermer la porte » aux marchandises étrangères et réserver aux seuls sujets de la Reine les bénéfices de l’exploitation de la Chine.

Voilà le danger qui, véritablement, menace l’empire chinois et les intérêts européens. Si les conseils de « l’impérialisme » l’emportent, si l’Angleterre ne peut se passer de ces nouvelles Indes que seraient la vallée du Yang-tsé, il faudra, pour parer à ce péril plus grave que le danger japonais, recourir à la politique de 1895 : l’entente des puissances continentales de l’Europe pour résister aux envahissemens de la Grande-Bretagne est le seul remède contre l’impérialisme conquérant. Si les grandes puissances consument leurs forces en querelles intestines, si elles ne

  1. Discours du 9 juin en réponse à lord Charles Beresford.