Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarations pleines de bon sens et de modération de M. Brodrick, en réponse au « discours belliqueux » de lord Charles Beresford[1], ce danger est réel, parce que la politique de la Grande-Bretagne est envahissante par nécessité économique. Mais, par la fatalité de notre destinée, ici comme en Afrique, la route de l’expansion française coupe à angle droit celle de l’expansion anglaise. Ou notre empire asiatique sera confiné dans le sud, sans issues vers les parties riches de la Chine, ou nous pénétrerons les premiers jusqu’au Se-tchouen et d’abord à Yun-nan-fou, où notre voie croise celle des Anglais. Si nous ne savons pas employer toute notre énergie à n’être pas devancés à ce carrefour stratégique et commercial où est la clé de l’arrière-pays tonkinois, nous aurons trouvé Fachoda au milieu de la Chine. Après l’empire de l’Afrique, l’empire de l’Asie sera à la Grande-Bretagne. La question d’Afrique est réglée contre nous : si nous n’y prenons pas garde, il en sera bientôt de même de la question d’Extrême-Orient.


VI

La France a, vis-à-vis de la Chine, une double tradition politique ; les événemens qui en composent la chaîne peuvent au premier abord sembler contradictoires : nous avons, avec les Anglais, ouvert la Chine au commerce et à la civilisation européenne ; nous avons seuls la charge de protéger les catholiques sur son territoire ; en 1895, nous avons sauvé son intégrité et nous l’avons, depuis, respectée ; mais, en même temps, nous avons conquis et organisé, aux portes du Céleste Empire, une grande et belle colonie, nous sommes devenus par terre les voisins des Chinois et nous avons dû vider avec eux quelques différends ; des intérêts nouveaux sont venus s’ajouter à ceux que nous avions déjà dans l’empire ; une politique provinciale s’est greffée sur notre politique générale. Mais, en dépit de quelques apparences, la double série de nos intérêts et de nos droits peut se concilier et nous inspirer une méthode générale d’action en Chine, qui soit à la fois avantageuse à la France, soucieuse des droits des autres, respectueuse aussi de cette personnalité historique, malgré tout imposante, qu’est l’Empire du Milieu. C’est au nom des intérêts chinois bien compris que nous avons demandé et obtenu des concessions de mines

  1. Discours du 9 juin 1899.