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1892, sur neuf cent soixante membres que comprenait le Civil Service, vingt et un seulement étaient natifs de l’Inde.

Aux élections générales de 1892, M. Dadabhai fut envoyé au Parlement non par un bourg-pourri, mais par une des plus importantes circonscriptions de la Cité. On l’appelait en souriant the member for India et, en effet, malgré la constitution, il était véritablement à Westminster le représentant des idées et des sentimens de l’Inde. Il obtint de la majorité libérale, en 1893, une résolution qui consacrait le principe de l’examen simultané à Londres et dans l’Inde, mais ce fut encore là une vaine parole. On sait comment la précaire majorité libérale de 1892 fut balayée aux élections de 1895. Dadabhai Naoroji ne rentra pas au Parlement. A sa place, les conservateurs avaient suscité un faux prophète dans la personne d’un certain Bhavnagri. Ce personnage vint, « au nom du peuple de l’Inde, » nier toutes les vérités qu’avait affirmées Dadabhai Naoroji et ramasser tous les sophismes qu’il avait démolis. Après quoi, il alla se montrer à ses compatriotes. Dans ces mêmes provinces qui, l’année précédente, avaient acclamé Dadabhai Naoroji, on organisa une ovation au pseudo-tribun. Banquets, toasts, musiques, bannières, rien n’y manqua de ce que peut procurer l’argent, judicieusement dépensé, dans un pays où les cris d’enthousiasme sont pour rien. Mais cette parodie eut le succès qu’elle méritait et l’écho des vivats qui saluaient M. Bhavnagri se perdit dans une immense risée[1]. La situation n’a donc point changé et la « résolution » de 1893 demeure lettre morte. Le nombre des indigènes qui réussissent à se glisser dans le Service Civil n’augmente pas.

Quelles raisons donnent les Anglais pour tenir les Indiens à l’écart des fonctions administratives ? L’autorité du fonctionnaire indien, dit-on souvent, est médiocre auprès de ses compatriotes ; elle est nulle auprès des Européens. Mais n’est-ce pas la faute des Européens, qui affichent, en toute circonstance, la conscience de leur prétendue supériorité ? On semble quelquefois soupçonner l’intégrité des natifs. Plaisant soupçon de la part d’un peuple qui a donné au monde en général et à l’Inde en particulier de si étonnans exemples de corruption financière ! À ce sujet, M. Dadabhai a rappelé qu’en 1793, la Compagnie des Indes avait « acheté » le Parlement. L’expérience de tous les jours prouve

  1. The Indian political estimate of M. Bhavnagri M. P. Or the Bhavnagri boom exposie. Bombay, 1897.