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la consommerait. Il faut chercher des moyens moins radicaux, moins violens, pour retenir ou pour ramener la fortune de l’Inde dans les mains du peuple indien.

Les deux principaux qu’on ait suggérés sont ceux-ci : faire une part, — la plus grande possible, — aux natifs dans la propriété et l’exploitation des innombrables entreprises commerciales et industrielles auxquelles donne lieu la mise en valeur des ressources nationales ; remplacer peu à peu les étrangers par des fonctionnaires indigènes dans les hauts postes administratifs à gros traitemens et à grosses retraites et, par-là, mettre un terme à l’exode des millions.

Sur le premier point, il est à remarquer que toutes les bonnes affaires sont déjà aux mains des Anglais. Il y a quarante ans que l’on a commencé le réseau indien, et c’est en 1896 qu’a été ouverte, pour la première fois, au public une ligne construite avec des capitaux hindous. J’ignore les résultats, mais je crains de les deviner. Tout le monde sait qu’en fait de chemins de fer, les spéculateurs de la dernière heure sont rarement les mieux servis. On a vu plus haut la désastreuse entrée de l’Inde dans l’industrie cotonnière. Elle ne peut songer à l’industrie métallurgique, à cause de l’énorme mise de fonds nécessaire et ne peut aborder l’industrie minière que sur une très petite échelle. Ce qui lui manque encore plus que le capital, c’est l’initiative, l’imagination et l’audace industrielle, si merveilleusement développées chez ses maîtres, c’est le goût même de ces choses. Ce peuple, ne l’oublions pas, a placé l’argent au troisième rang dans la hiérarchie sociale, après le courage et l’intelligence. Son aristocratie est une aristocratie intellectuelle, et, d’après ce mot, il ne faut pas imaginer une corporation ambitieuse et bien rentée, qui passe par la littérature pour arriver au pouvoir politique et à la fortune, mais une catégorie particulière de penseurs ou, si l’on veut, de rêveurs, dont l’autorité est toute morale. Ils sont presque en haillons, et tout s’incline devant eux. Cela est beau, assurément, cet hommage rendu à la pure supériorité de l’esprit, mais cela est fâcheux à un certain point de vue, car, comme le dit excellemment M. Bose, il est bon que l’intelligence reste en contact avec les forces vivantes et qu’elle les dirige, pour le plus grand bien de l’humanité. Il ne faut pas permettre à ces forces de jouer toutes seules, à l’aventure, sous la poussée des appétits. On fera donc bien de combattre ces tendances ultra-idéalistes de l’âme hindoue