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demeura le même et les résultats, lentement, commencèrent à apparaître. En 1838, Montgomery Martin poussait un cri d’alarme et calculait que, par le retrait continuel de l’argent envoyé en Angleterre, et en tenant compte des intérêts composés, plus de 700 millions de livres sterling (de 17 à 18 milliards) avaient été soustraits à la richesse de l’Inde[1].

En 1858, l’existence de la Compagnie des Indes a pris fin et la troisième époque de l’occupation anglaise a commencé. A-t-elle arrêté la spoliation progressive de l’Inde par ses maîtres étrangers ? Non : elle lui a imprimé une vitesse croissante. La somme expédiée annuellement dans la métropole, qui était de trois millions de livres en 1838 et de cinq en 1859, était montée, en 1883, à dix-huit millions et demi ; elle atteint maintenant, à ce que nous assure M. Hyndman, le chiffre de trente millions de livres qui équivalent à plus de sept cent cinquante millions de notre monnaie.

Ici il faut renoncer à notre critérium habituel. La balance du commerce, en accusant l’excès considérable de l’exportation sur l’importation, pourrait faire croire à l’état le plus florissant, si on l’interprétait comme nous le faisons en Europe, mais rien ne serait plus loin de la vérité. Traitemens, pensions, annuités, produits commerciaux, dividendes industriels, sous mille formes et par mille canaux, c’est, en réalité, la substance, la nourriture vitale de l’Inde qui s’en va sans compensation et sans retour ; ou, si elle revient, ce sera déguisée en emprunt d’Etat. On prête à l’Inde l’argent qu’on lui a extorqué, pour le lui reprendre une seconde fois, grossi d’une nouvelle extorsion. Tout ce qui paraissait devoir enrichir l’Inde, et ce qui enrichit, en effet, les nations occidentales, a contribué à l’appauvrir. Les grands travaux d’irrigation, qui devaient rendre le retour de la famine impossible, ont été conçus et exécutés d’après les méthodes européennes, sans une connaissance suffisante des besoins et de la nature des lieux, au mépris de ces humbles et vieilles pratiques qui faisaient sourire la science moderne, mais dont le temps avait éprouvé l’efficacité. Souvent inutiles, parfois nuisibles, ils ont toujours été onéreux. En vingt ans, de 1858 à 1878, sept mille milles de voies ferrées ont été construits ! Les six septièmes de ce réseau appartiennent à l’initiative privée. Faits par des

  1. H. M. Hyndman, The Bankruptey of India, 1886.