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obligés de siéger presque tous les jours, en raison du procès de la reine, ne venaient à Londres que pour assister aux séances et en repartaient ensuite. En attendant que, parmi les propriétés à louer qu’on lui signalait, l’ambassadeur en eût trouvé une à sa convenance aux environs, sa jeune femme utilisait son séjour dans la capitale en étudiant « dans ce qui n’était pas encore parti » la société anglaise et en allant au théâtre presque tous les soirs.

« La duchesse de Bedford nous ayant envoyé sa loge, nous allons beaucoup au spectacle. J’ai déjà vu Kean dans plusieurs pièces de Shakspeare. Je n’aime pas cet acteur, ni ses mouvemens, ni ses gestes. Quand il joue le désespoir par exemple, il prend sa perruque à deux mains et la secoue de toutes ses forces. Je crois que ce serait d’un bien mauvais effet, si Talma faisait de même sur notre théâtre. » La spirituelle ambassadrice n’avait pas plus de goût pour « ces farces, ces mascarades qu’affectionnent les Anglais, où l’on voit des Polichinelles, des Gilles s’habiller, se déshabiller, perdre un bras, une jambe, les retrouver, et mille autres bêtises. » Après les théâtres, elle visitait les prisons et y prenait des notes qu’elle se proposait d’envoyer à M. Pasquier afin qu’il en fit son profit. Elle signalait ce qu’elle y avait vu de véritablement monstrueux : les enfans des condamnés, qu’on laissait à leurs parens jusqu’à l’âge de sept ans, et qui ne pouvaient que se pervertir en un tel milieu. Pour remédier à cet inconvénient, une quakeresse philanthrope, Mme Fry, avait pris une chambre où on les gardait toute la journée, sous la surveillance des femmes les moins coupables. On ne les rendait à leurs parens qu’à l’heure du coucher.

« J’ai assisté à leur prière. Il y avait environ trente enfans et les prisonniers non enchaînés. Ils prient tous d’inspiration. Mme Fry a commencé. Elle a été interrompue par une autre qui continue à sa place, et ainsi de suite pour toutes les inspirées. Il y en avait beaucoup ce jour-là. Quand il n’y on a pas, on reste à genoux et en silence, les yeux et les mains élevés vers le ciel, pendant une demi-heure, dans l’attente du Saint-Esprit. S’il ne vient pas, on se relève, et tout est fini pour cette fois.

« Mme Fry, que j’ai depuis souvent revue en France, est une grande et belle femme, portant, comme sa fille, qui est très jolie et se conduit très bien, le costume de leur secte : un bonnet plat, une robe grise unie, un fichu de canon. Ce costume est le même pour tous les âges. Mlle Fry n’est d’aucune religion. Elle m’a dit que, si