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huée qu’elle fut obligée de s’en retourner. La mienne avait été mieux traitée ; je ne sais si c’est parce qu’on ne la connaissait pas ou qu’on croit que les Français sont mieux pour la reine. Le soir, nous dînions chez Thérèse. Le prince Paul voulut se fâcher contre nous parce que sa femme ne lui avait pas dit que nous irions chez lady Carrington. Moi, j’avais prévenu mon mari et obtenu la permission. Je dis au prince :

« — Si vous continuez à faire le grognon, je raconterai partout que vous avez eu votre redingote crottée et déchirée et que vous avez été obligé de vous cacher.

« Effectivement, il avait voulu aller à pied et on l’avait insulté en lui jetant de la boue. Je ne sais pourquoi les gens d’ici en veulent tant aux Autrichiens. Nous sommes restés jusqu’à deux heures chez Thérèse à jouer des charades. Son cousin, le prince de Liechtenstein, a un vrai talent de comédien. Il y a eu toute la nuit grand tapage dans les rues de Londres, des rassemblemens de milliers de personnes qui cassaient des vitres dans la Cité. En France, cela ferait beaucoup d’effet. Le lendemain, on a l’air de n’y plus penser et chacun retourne à sa besogne comme si de rien n’était. »

Écrites par une jeune femme de dix-huit ans, ces notes ont, dans leur décousu, le mérite de nous donner une juste idée de l’agitation de la capitale anglaise durant le procès de la reine. Ce que la duchesse décrit, pour l’avoir vu de près une fois, se renouvela presque tous les jours et presque toutes les nuits. Du reste, le procès avait beau avancer et, par les révélations qui s’y produisaient, démontrer clairement la culpabilité de l’accusée, il ne mettait fin ni à l’indécision des juges, ni aux dispositions du public. Après les plaidoiries, on entendit les résumés et réquisitoires. Mais ils n’accrurent pas le nombre des accusateurs de la reine et n’empêchèrent pas le nombre de ses défenseurs de continuer d’augmenter. Plus les témoins révélaient de faits propres à convaincre les auditeurs, et plus ceux-ci tendaient à excuser la princesse en rappelant l’inconduite de son mari. Le vote dans la Chambre des pairs devenait de plus en plus douteux. Cette incertitude quant au résultat final réjouissait ici, irritait là, et c’est sur la personne du roi que rejaillissait, plus encore que sur la reine, le scandale de ce déplorable procès :

— Le roi est si bas, déclarait le duc de Wellington, que rien ne saurait l’abaisser davantage.