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appelé la reine devant les pairs. Le clergé lui-même protestait en rappelant qu’aux termes des lois ecclésiastiques, le divorce ne pouvait être accordé qu’au mari sans tache. Ce fut un des principaux argumens des deux avocats Brougham et Denman, qui présentaient la défense, et qui achevèrent d’ébranler la conviction des juges, sinon quant à la culpabilité, du moins quant à l’opportunité d’un arrêt de divorce.

Par suite des événemens qui viennent d’être résumés, la ville de Londres, tant que dura le procès, offrit une physionomie révolutionnaire, dont l’esprit de la duchesse Decazes, vif, impressionnable, et si vite ouvert à toutes les sources d’intérêt et d’émotion, ne pouvait n’être pas frappé. C’est encore à ses notes, dont quelques-unes furent écrites à l’heure même où se déroulaient les incidens qui s’y trouvent relatés, qu’il faut en revenir pour compléter le tableau que, dans ses lettres au roi, son mari ne faisait qu’ébaucher.

« La princesse Thérèse (Esterhazy) et moi, écrit-elle, nous sommes imaginé l’autre jour qu’il fallait aller voir passer la reine se rendant au Parlement. Nous voici, moi avec lord Carrington, auquel j’avais demandé une fenêtre chez son père, et elle, avec lord Francis. Il faut concevoir que celui-là était bien choisi : le fils de la maîtresse du roi ! Nous montons dans ma voiture et nous voilà partis, emmenant chacune un secrétaire d’ambassade. Arrivés assez loin encore de Westminster, la voiture ne put aller plus loin, et nous voilà à la porte de lady Carrington, sans avoir été insultés. J’avais bien peur. Nous trouvâmes un déjeuner excellent et tout plein de petits soins.

« Après avoir attendu deux heures, on nous dit que le cortège commençait à passer. Thérèse et moi, nous nous mîmes à une fenêtre. Mais, à peine y étions-nous, que la foule commença à proférer des injures. Chacune de nous se jetait la balle et disait que c’était pour l’autre. Je me retirai la première. Les cris continuèrent. On lança à Thérèse des écailles d’huîtres. Elle se cacha. Quand la reine parut, les long life to the Queen furent si multipliés qu’on ne lit plus attention à personne. Thérèse avait dit à ses gens de venir la chercher. Mais sa voiture avait été tellement