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le roi et donnait à entendre qu’elle repousserait le bill de divorce s’il était voté par la Chambre des lords. Celle-ci était elle-même très divisée, quant à la question de savoir s’il y avait lieu de prononcer une condamnation, la reine fût-elle reconnue coupable d’adultère. Les révélations scandaleuses apportées au procès, auxquelles les uns ajoutaient foi et que les autres repoussaient comme mensongères, mettaient le feu aux quatre coins de Londres. La presse anglaise, par ses violences, activait cette agitation, qui avait des échos à Paris et dans toutes les capitales. Le venin distillé en belles phrases n’épargnait ni le peuple, ni l’armée dont le gouvernement déclarait n’être plus sûr. Il fallait faire partir en toute hâte, pour les dérober au mauvais esprit qui régnait à Londres, la plupart des troupes casernées dans cette ville ou aux environs. Le cabinet britannique se sentait menacé. Il se demandait chaque jour si sa chute ne viendrait pas compliquer le dénouement du procès et si les sujets du roi d’Angleterre n’allaient pas se conformer aux funestes exemples qui leur avaient été donnés par les Espagnols et les Napolitains.

« Les ministres ici ne parlent pas d’autre chose[1], mandait Decazes à Pasquier ; ils ne cachent pas l’effroi qu’ils en ont. Je ne doute pas qu’ils ne craignent le mauvais effet des exemples d’Espagne et de Naples sur leurs propres troupes, qui les occupent maintenant plus que la populace, dont l’attitude du reste n’a rien de menaçant. Ce qui l’est peu ici et le serait beaucoup chez nous, c’est le ridicule, pour ne rien dire de plus, jeté sur le procès de la reine et sur la couronne elle-même par toutes ces caricatures infâmes qui couvrent les boutiques et dont je vous envoie une petite collection pour faire rire le roi. »

C’est le 25 juillet que Decazes écrit cette lettre. A dater de ce jour, conformément à l’invitation formelle de Louis XVIII et du duc de Richelieu, il suit attentivement et, en quelque sorte, jour par jour, les péripéties du procès de la reine. On les voit revivre dans ses lettres particulières au roi et au ministre des Affaires étrangères.

« 8 août. — Les ministres sont toujours fort inquiets du sort de la proposition de bill faite à la Chambre des pairs contre la

  1. Autre lettre en date du 26 juin. « Comme vous le voyez, les affaires de la reine occupent tellement le Cabinet qu’aucun ministre n’a le temps de songer à celles de la France. Hier, lord Liverpool a dit cela franchement à une personne qui lui demandait un mot de réponse sur une affaire urgente. »