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renverser le ministère. La comtesse de Liéven, « jalouse jusqu’à la fureur » de l’accueil que reçoit à Windsor la princesse Esterhazy, « est trop comique à entendre quand elle raconte tout cela. »

Elle-même n’échappe pas aux propos malveillans. On raconte qu’elle a été honorée des faveurs du roi. Mais, ici, le mensonge est évident et démontré, car, depuis le Congrès de Vienne, la comtesse de Liéven est tout entière à l’attachement passionné que lui a inspiré le prince de Metternich, attachement ardent et partagé, touchant même dans sa sincérité, et que n’ont pu détruire encore ni les années, ni les obstacles, ni les distances. Elle fait à Decazes et à sa jeune femme l’accueil le plus flatteur. À ce dîner donné pour lui et auquel assiste le duc d’York, elle est conduite à table par le prince ; mais elle place l’ambassadeur à sa droite, quoiqu’il y ait là Wellington, Castlereagh, et tous les membres du corps diplomatique.

« Ils m’ont provoqué à boire avec eux, ce que j’ai fait en trichant si bien que je n’ai pas bu en cinq ou six fois la valeur d’un verre. J’avais pour voisine de table la marquise de Stafford, qui était ambassadrice chez nous au moment de la Révolution et qui, je crois, a été très bien pour Monsieur, comte de Provence. Elle m’a raconté qu’elle avait passé la soirée au Luxembourg, la veille du jour où il s’échappa si habilement, et que, le lendemain, elle avait recueilli chez elle le fils de Mme de Balbi, qui avait été comme abandonné par sa mère, avec laquelle elle était, paraît-il, fort liée. Elle m’a demandé ce qu’était devenu l’enfant depuis ; je n’ai pu le lui dire. Il me semble qu’il n’existe pas de fils de Mme de Balbi[1]. »

Après le dîner, la comtesse de Liéven conduit ses convives chez le duc de Devonshire, qui donne une grande fête. La duchesse Decazes signale dans ses notes la splendeur de la réception, l’habit magnifique du maître de la maison, le luxe des salons. Dans cette habitation somptueuse, « il y a une cour, ce qui est rare à Londres. » Mais il paraît que l’architecte avait oublié l’escalier. On l’a fait après coup, extérieurement et en fer à cheval. « Le duc de Devonshire disait qu’il aimait beaucoup la musique. La musique était donc très bonne. Mais je ne m’en

  1. Decazes se trompait : Mme de Balbi avait un fils. Il était sous-officier de hussards et fut compromis comme royaliste sous le Consulat. J’ai trouvé son dossier aux Archives.