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en Angleterre, lui mande le roi. Tant que vous avez été en France, mon écriture et mon cachet m’étaient garans que vous seriez seul à me lire[1]. Mais,


Un roi pour ses sujets est un dieu qu’on vénère ;
Pour un commis anglais, c’est un homme ordinaire !


C’est donc à vos prédécesseurs en lecture que j’adresse la profession de foi qui va suivre.

« Tout le monde, mon cher duc, connaît mon amitié pour vous. Mais beaucoup de gens croient que c’est à cette amitié que vous devez ma confiance. Ils mentent ou se trompent. Vous la devez à ma connaissance approfondie de la droiture de votre cœur, de votre profond attachement à la monarchie légitime, de vos lumières, de votre capacité, et certes, si les choses étaient ce qu’elles furent jadis, toutes les intrigues du monde seraient venues se briser aux pieds de mon estime pour vous, et ma mort ou la vôtre eût été le seul terme de votre ministère. Mais il faut partir du point où nous sommes. Au moment où vous alliez mettre le comble à vos services, je puis dire à votre gloire, la plus insigne perfidie vous a ravi cette majorité si indispensable dans la constitution qui nous régit. Je suis persuadé que le mal n’eût été que passager. Il y a longtemps que j’ai comparé la vérité à l’huile qui finit toujours par surnager. Mais il fallait assurer le salut de l’État en faisant passer les lois que vous aviez proposées ; vous avez vous-même senti qu’il fallait sacrifier l’auteur à l’ouvrage, et j’ai cédé à vos raisons. La preuve que ce n’était qu’à votre personne qu’on en voulait, c’est que, de vos lois, deux ont passé sans difficultés et pour la troisième, après bien des aberrations, on en est revenu aux bases de la vôtre. Votre retour, après quatre

  1. On a vu que Louis XVIII se faisait illusion lorsqu’il croyait que sa correspondance avec Decazes n’était pas ouverte. Une fois en Angleterre, Decazes, qui lui avait écrit un jour pour le prévenir que leurs lettres étaient lues, prit les plus minutieuses précautions à l’effet de les dérober aux investigations du Cabinet noir. En octobre 1820, il écrivait à un ami : « Vous recevrez désormais par le portefeuille des Affaires étrangères, que j’envoie les mardis et vendredis, une petite cassette à clé avec mes lettres. Vous me la renverrez de même les lundis et jeudis, en envoyant aux Affaires étrangères avant deux heures. J’en ai fait faire trois, qui feront la navette. Vous recevrez la clé dans une lettre. Avant de me renvoyer la première, vous ferez bien de vous assurer chez plusieurs serruriers qu’on ne peut pas, comme je le crois, l’ouvrir avec de fausses clés. Vous la mettrez sous enveloppe avec trois cachets comme vos lettres ordinaires, en ayant soin seulement de mettre dans un des cachets, celui du milieu, une soie. C’est le moyen qu’on ne puisse décacheter sans qu’on s’en aperçoive. »