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hongroises ou slaves, ou bien encore tomber à une dépendance permanente ? Que mettrait-on à la place qu’occupa jusqu’à présent en Europe l’Etat autrichien, depuis le Tyrol jusqu’à la Bukowine ? De nouvelles formations dans ces parages ne peuvent avoir qu’un caractère constamment révolutionnaire[1]. Nous ne pouvons rien faire de l’Autriche allemande, que nous l’annexions en entier ou partiellement ; nous ne pouvons pas obtenir un renforcement de l’Etat prussien par l’acquisition de provinces comme la Silésie autrichienne et de parcelles de la Bohême ; une fusion de l’Autriche allemande avec la Prusse est irréalisable, et Vienne ne se laisserait pas gouverner comme une dépendance de Berlin. »

Fusion irréalisable, en effet, parce qu’à défaut d’unité nationale, il y a trop de longues unions, et, à défaut d’histoire nationale, trop d’histoires parallèles ou voisines ; parce que, mosaïque ou damier, si l’on veut, les carreaux en datent toutefois, les moins anciens, comme la Silésie, la Moravie et la Bohême, de 1526 ; d’autres, comme le Tyrol, de 1363 ou, comme la Carinthie, jointe à Salzbourg, de 1336 ; d’autres, comme la Styrie, de 1192 ou, comme la Haute-Autriche, de 1356 ; et le cœur enfin de la Monarchie, l’antique Marche d’Autriche, des environs de l’an 1000.

Les raisons de Bismarck avaient donc raison. Comment, avec une accoutumance de tant de siècles, — et sans croire plus qu’il ne convient à tout ce qu’on a écrit des deux natures, des deux âmes allemandes du Nord et du Sud, celle-ci molle et rêveuse, celle-là belliqueuse et âpre, — comment, avec cette qualité différente de germanisme, la germanisation ou regermanisation radicale, la prussification des parties allemandes de l’Autriche se ferait-elle assez vite, et assez aisément, et assez sûrement ? De l’avoir prise et de la garder, cette Autriche allemande, serait-ce pour l’Allemagne prussienne, en dernière analyse, et aux jours critiques, une force ou une faiblesse ? Serait-il bon pour elle d’avoir sous elle ou derrière elle ce fond mouvant d’Allemagne vague et diffuse ? Est-il certain qu’on en ferait ainsi une plus grande Allemagne ? Lorsque M. de Bismarck s’est interrogé là-dessus, en une heure où, s’il n’était pas tout à fait le maître, il ne lui fallait plus qu’un petit effort pour le devenir, il s’est répondu à lui-même par la négative. Il s’est lui-même arrêté par un : Non, plus catégorique encore que le refus de Karolyi. Il a, pour lui-même

  1. Pensées et Souvenirs, II, p. 52-53. — Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1898, notre article : l’Autriche future et la future Europe.