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Il est vrai que ces desseins n’étaient point absolument les siens, mais ceux-du roi, du prince Frédéric-Charles et de l’état-major ; et c’est peut-être pourquoi il y tint moins que s’ils eussent été de lui. Les militaires voulaient la Silésie autrichienne ; ils voulaient, « comme glacis en avant des montagnes de Saxe, » la bordure allemande de la Bohême, « comprenant Reichenberg, la vallée d’Egra et Carlsbad. » Il les y fit pourtant renoncer, quoi qu’il leur en coûtât. Pour lui, il eût voulu du moins « le petit territoire de Braunau, » qui forme, par-dessus l’Heuscheuer Gebirge, un angle entrant dans la Silésie prussienne « et qui avait pour la Prusse un intérêt spécial en vue de son réseau de voies ferrées, » traversé qu’il est par une des lignes de Glatz à Breslau. Quoi qu’il lui en coûtât, cependant il y renonça. Et pourquoi donc ? Parce que « Karolyi refusait catégoriquement toute cession de territoire, » si minime fût-elle[1] ? Il eût bien trouvé le moyen de briser le refus catégorique du comte Karolyi. Parce qu’il avait peur, les négociations traînant, d’éveiller à la longue l’inquiétude et l’impatience de la France ? Oui, sans doute, mais les raisons profondes, durables et nécessaires, les raisons de toujours étaient sous ces raisons d’une heure et leur donnaient une solidité invincible.

C’est Bismarck en personne qui l’avoue : « Pour me rendre compte de l’opportunité d’annexions en Autriche et en Bavière, je me posai la question de savoir si, dans des guerres éventuelles, les habitans, quand se retireraient les troupes et les autorités prussiennes, continueraient à rester fidèles au roi et à recevoir ses ordres ; je n’avais pas l’impression que la population de ces territoires, habituée à la vie bavaroise et autrichienne, nourrirait des sentimens bien favorables aux Hohenzollern[2]. » Plus loin : « Nous devons éviter de blesser grièvement l’Autriche, d’y laisser plus qu’il n’est nécessaire une rancune et un besoin de revanche. Il faut, au contraire, nous réserver la possibilité de renouer avec l’adversaire actuel et considérer en tout cas l’État autrichien comme une pièce de l’échiquier européen, et la reprise de nos bons rapports avec lui comme une manœuvre qui devra toujours être possible. » Et plus loin encore : « Pouvons-nous envisager de sang-froid l’avenir des pays qui forment la monarchie autrichienne, si elle doit être détruite par des insurrections

  1. Pensées et Souvenirs, II. p. 48.
  2. Ibid., p. 46.