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partir d’où, la frontière de la future grande Allemagne serait la frontière même de l’Autriche actuelle, tant vers la Suisse que vers la Bavière et la Saxe.

De la sorte, et en exceptant la moitié slave de la Styrie, l’étroite bande slave de la Carinthie, et le tiers ladin ou italien du Tyrol, l’Empire allemand, le « règne » allemand, pour s’affirmer en sa pleine unité, devrait s’annexer les provinces tout entières de Basse-Autriche, de Haute-Autriche, de Salzbourg, la majeure partie du Tyrol avec le Vorarlberg et la principauté de Liechtenstein, presque toute la Carinthie, l’autre moitié de la Styrie, sans oublier, au nord, le morceau de roi, la ceinture allemande de la Bohême.

Mais est-ce tout ? ou serait-ce tout ? Non pas, et le principe des nationalités, si une espèce de fatalité naturelle ne fait pas toute la politique et si elle est, dans une certaine mesure, œuvre de raison et de volonté, ce principe ne suffirait point à la tâche, n’emplirait point les ambitions. La future Allemagne voudrait et devrait presque être plus grande que cette grande Allemagne. Ayant la terre, elle voudrait la mer ; ayant déjà une mer septentrionale, elle en voudrait une méridionale ; d’autant plus que la première ne conduit nulle part, tandis que la seconde conduit partout, est au centre du globe exploitable ; et par elle, par cette mer méridionale, l’Allemagne deviendrait une puissance véritablement centrale et universelle.

Mais, pour l’avoir, il faut qu’elle ait Trieste ; et, pour avoir Trieste, pour avoir à Trieste un accès toujours libre, il faudrait au moins qu’elle prit soit Göritz et Gradisca, soit le Küstenland ; or, Göritz est italien, le Kiistenland est slovène ; point de groupes allemands en ces deux provinces, et la fortune du César allemand, si le principe des nationalités est le vaisseau qui la porte, fait ainsi naufrage au port. Il reste, — et c’est le plus vraisemblable, — qu’il en soit de ce principe comme de tous les principes : que la politique le respecte quand il la sert, et le viole quand il la gêne. En vertu du principe des nationalités, la grande Allemagne réclamerait tout homme allemand et toute terre allemande ; et de plus, en dépit du même principe, alléguant quelque principe supérieur, comme la nécessité d’achever l’Allemagne, ce qu’elle jugerait utile d’hommes non allemands et de terres non allemandes. Car la politique et l’empire et l’histoire ne sont qu’humanité, et l’humanité n’est que contradiction.