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cente, ils s’ingéniaient à consolider leur installation, qu’ils avaient la prétention de s’y perpétuer, enfin qu’ils ne s’en iraient que si la Chambre les y invitait dans les termes les plus formels. L’affaire Dreyfus était finie ; M. le ministre de la Guerre avait dit à ses troupes que l’incident était clos ; il fallait donc trouver un autre prétexte. C’est alors qu’on a découvert le grand complot dont nous avons déjà parlé. Le péril de la République pouvait seul justifier le maintien d’un ministère aussi hétéroclite, et qui n’était en réalité qu’un syndicat de républicains : il fallait donc que ce péril fût très apparent. Comment faire ? La question n’était pas plutôt posée dans l’esprit de M. le ministre de la Justice, qu’elle y était résolue : on sait comment. Les prisons ont regorgé d’accusés et la Haute-Cour a été constituée. L’effet, pourtant, n’a pas été celui qu’on avait espéré ; il a été médiocre. L’opinion avait pris une telle habitude de croire à la parfaite sécurité de nos institutions qu’elle n’a pas su s’en déprendre d’un seul coup. On avait beau regarder dans tous les sens ; on apercevait des nuages assez gris, mais pas la moindre menace d’un orage révolutionnaire, et les quelques tentatives qui avaient été faites par des jeunes gens pour changer illégalement la forme et le nom du gouvernement avaient abouti à un si piètre résultat qu’on était plus disposé à en rire qu’à s’en effrayer. Se trompait-on ? Les amis du gouvernement l’assuraient, et ils parlaient avec épouvante des révélations qui éclateraient sur nos têtes lorsque M. le procureur général Bernard donnerait à la Haute-Cour lecture de son réquisitoire. Ce moment est venu : on a entendu le réquisitoire, et l’on s’est regardé plus étonné encore qu’auparavant. Eh quoi ! Ce n’était que cela ? Attendons la suite : peut-être la commission d’instruction aura-t-elle été plus heureuse dans ses recherches que ne l’a été le juge primitif. Pour le moment, et malgré tant d’efforts, on n’a pas encore réussi, nous ne disons pas à inquiéter l’opinion, mais à l’intéresser. L’intérêt ne s’attache même pas à la personne des accusés, sauf pourtant à celle de l’un d’entre eux, M. Déroulède. À tort ou à raison, il est populaire, c’est-à-dire que l’opinion est sympathique à sa personne, quoique, d’ailleurs, indifférente à ce qui lui arrivera. S’il est condamné, on dira que c’est bien malheureux, et on pensera à autre chose. Ce qui caractérise l’opinion aujourd’hui, c’est qu’elle est réduite au strict minimum ; on serait tenté de dire qu’il n’y en a pas, ou qu’elle est frappée d’atonie. À l’exception de M. Déroulède, les accusés passent inaperçus ; M. Jules Guérin, qui a tenu quelques jours le public en haleine en transportant rue de Chabrol les mœurs des derniers Mohicans, est lui-même déjà oublié ; de sorte que l’intérêt ne